CIAO DATE: 09/2014
Volume: 90, Issue: 0
Summer 2013
Où sont les murs? Penser l'enfermement en sciences sociales (PDF)
Mathilde Darley, Camille Lancelevee, Benedicte Michalon
Depuis quelques années, la France se dote de nouvelles institutions fermées à la frontière du social, du pénal et du médical. Entre 2002 et 2012 a ainsi été programmée la création de plusieurs UHSA censées répondre à l’augmentation drastique du nombre de personnes présentant des troubles mentaux graves en prison , l’ouverture d’un Centre Socio-Médico-Judiciaire de Sûreté (ou rétention de sûreté) à Fresnes, la construction de 200 chambres d’isolement supplémentaires dans les services de psychiatrie et de cinq nouvelles Unités pour Malades Difficiles , la mise en place de mesures de contention face à la délinquance juvénile (établissements pénitentiaires pour mineurs et centres éducatifs fermés), ou encore la construction de centres de rétention administrative d’envergure inédite, tel celui ouvert au Mesnil-Amelot en août 2011 spécifiquement dédié à l’hébergement des familles en instance d’éloignement du territoire. Dans le même temps, les taux de détention en milieu carcéral n’ont...
Fanny Le Bonhomme
En se penchant sur le cas des « patients-camarades », cette étude examine les modalités selon lesquelles le politique peut s’inviter dans les services psychiatriques de RDA et influencer les stratégies mises en œuvre par ses acteurs. Il s’agit d’entrer dans la société de RDA par ses marges, afin d’interroger d’une manière inédite les logiques de pénétration de la société par le politique. L’analyse des dossiers psychiatriques permet de réfléchir, à partir d’études de cas, aux modalités selon lesquelles logiques politiques et logiques médicales s’entrecroisent, se recoupent ou s’affrontent quand des camarades du parti communiste se font patients d’un service psychiatrique. Se pencher sur l’expérience de ces acteurs « en marge de la société » permet non seulement d’approcher une « autre expérience du communisme au quotidien » mais également de saisir des tensions et des contradictions qui traversent l’ensemble de la société est-allemande.
L'espace de la policlinique psychiatrique dans la ville : l'émergence de nouveaux savoirs (PDF)
Sophie Ledebur
Cet article cherche à reconstruire le lien entre la détermination de symptômes psychiatriques et les changements institutionnels. Bien qu’étant parvenue à créer un lien fort avec la population urbaine, la policlinique, fondée en 1871 dans le centre hospitalier de la Charité à Berlin, faisait partie de la clinique psychiatrique traditionnellement fermée et hermétique. En ce sens, elle peut être appréhendée comme un espace hétérotopique dans l’acception foucaldienne du terme. Sa création a encouragé de nombreux patients à solliciter d’eux-mêmes des soins à des stades peu avancés de leur maladie, alors que les symptômes étaient encore peu marqués. Moins formalisé que les rapports de l’hôpital psychiatrique, le système de documentation de la policlinique met à jour non seulement les intérêts particuliers de ses auteurs pour certains symptômes et maladies mais également l’émergence d’un espace-savoir propre à la clinique.
Marine Coquet
Construite par et pour le bagne en 1857, la commune de Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane française porte jusqu’en 1949 une vocation carcérale unique dans le paysage législatif et colonial français. En portant l’analyse de la construction de la ville sur son agencement spatial et son dispositif organisationnel, s’ouvre une nouvelle approche pour comprendre les processus par lesquels le bagne s’installe sur un territoire colonial. Entre l’intérieur et l’extérieur, entre rigidités et porosités des frontières catégorielles fixées par l’administration pénitentiaire, le processus de carcéralisation de la ville est sans cesse en négociation entre une institution totale et des acteurs hétéroclites : ressortissants coloniaux, colons, administrateurs ou condamnés. L’enjeu du contrôle social, spatial et disciplinaire des populations est au cœur du processus de carcéralisation de ce qui devient la capitale des bagnes coloniaux de l’Empire français.
Aux frontières des prisons : les familles de détenus (PDF)
Caroline Touraut
Aborder l’incarcération du point de vue des proches de détenus offre un autre regard sur l’institution carcérale et sur ses frontières. En effet, loin de ne concerner que les détenus, l’incarcération s’impose inexorablement à leur entourage qui éprouve une peine sociale à part entière. Les bouleversements qui affectent leur vie témoignent des processus à travers lesquels la prison tend à agir au-delà de ses murs. La politique pénitentiaire à l’égard des liens familiaux des personnes incarcérées et la diffusion du stigmate carcéral aux proches de détenus rend aussi compte de la manière dont l’expérience carcérale s’élargit aux familles des personnes incarcérées. L’article permet ainsi de mettre au jour les frontières subjectives des prisons qui définissent le champ de leur emprise sociale et leur espace de souveraineté au-delà de leurs murs.
Le paradoxe de la modernisation carcérale (PDF)
David Scheer
Par la comparaison ethnographique des quotidiens de vie et de travail au sein de deux établissements pénitentiaires belges d’époques différentes, cet article illustre à la fois le paradoxe de la modernisation carcérale, à savoir la préférence des acteurs intra-muros pour les prisons vétustes au détriment des prisons neuves, et l’ambivalence du système carcéral au regard de l’architecture, c’est-à-dire le décalage entre le projet conçu et les pratiques et usages en détention. C’est la matérialité du dispositif – ses murs, ses lieux, sa texture, sa palpabilité... – qui sera questionnée. Le processus de conception des établissements carcéraux suppose l’investissement dans un modèle de société : le choix d’impliquer ou d’exclure, de « normer » ou d’accepter les individus qui composent le corps social. Penser les lieux d’incarcération consiste donc à façonner les manières de traiter les personnes condamnées par la justice pénale à une peine privative de liberté.
Formes et régulations de l'enfermement psychiatrique: de la création de (PDF)
Benoit Eyraud, Delphine Moreau
Depuis quelques années, le souci de la sécurité a fait l’objet d’une attention particulière dans la psychiatrie publique française, se traduisant notamment par l’ouverture de nouveaux services très fermés. Cette évolution fait l’objet de critiques par un certain nombre d’intervenants et est d’autant plus mal vécue que le sens médical de la pratique psychiatrique et le souci de la protection des droits et de la dignité des patients sont régulièrement réaffirmés dans les textes officiels. Ce malaise sur la place de l’enfermement et de la contrainte en psychiatrie est récurrent. Cet article éclaire cet enjeu en examinant, à partir de l’exemple de l’hôpital du Vinatier, les évolutions du recours à l’enfermement sur plus d’un siècle. En restituant l’évolution des pratiques psychiatriques d’enfermement à partir de leur régulation juridique et organisationnelle, nous mettrons en évidence la persistance de la contrainte dans l’économie des modes de prise en charge de la maladie mentale. Nous montrerons que l’encadrement juridique ne joue pas qu’un rôle de légitimation mais également un rôle de problématisation de cette contrainte.