CIAO DATE: 07/2014
Volume: 83, Issue: 0
Autumn 2011
Le Genre globalisé : cadres d'actions et mobilisations en débats (PDF)
Delphine Lacombe, Elisabeth Marteu, Anna Jarry-Omarova, Anna Frotiee
De la « décennie de la femme » après la conférence internationale de Mexico (1975), aux politiques de « gender mainstreaming » à la suite de la conférence de Pékin (1995), les luttes féministes ont connu une légitimation croissante sur la scène internationale. Dès lors, les politiques d’égalité femmes-hommes et la sexuation du langage des droits humains ont été portées aux échelles locales, nationales et internationales, avec pour point de mire les institutions étatiques et pour principal agent de promotion internationale l’Organisation des Nations Unies (ONU). La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (CEDAW) a ainsi été signée par 186 pays. Nouvelle terminologie d’usage pour désigner les rapports sociaux de sexe, le « genre » est devenu une catégorie globale d’intervention publique, dont l’intégration dans les politiques d’aide à destination des pays du Sud a été une dimension concrète majeure. Souvent présentés comme des instrume...
Delphine Lacombe
L’article propose de déconstruire un angle de vue dichotomique sur l’action collective féministe latino-américaine et caribéenne, selon lequel cette dernière serait divisée en deux courants: l’un autonome-libertaire refusant de s’inscrire dans les politiques onusiennes et de développement sur le genre, l’autre institutionnalisé, constitué autour d’ONG, mobilisant les financements des bailleurs de fonds internationaux pour mettre en œuvre des programmes à l’adresse des femmes pauvres. Selon le courant autonome, «l’ONGisation» serait facteur de dépolitisation du féminisme et de détournement de ses visées subversives. Or, il s’agit de montrer, à l’appui d’une enquête menée au Nicaragua sur les débats et pratiques des féminismes post-sandinistes (1990-2010), que la militance institutionnalisée œuvre plutôt dans un continuum fragile entre politique de résistance féministe et adaptabilités stratégiques aux ressources de l’aide au développement. La construction de marges de manœuvre et d’actions autonomes et les débats qu’elle alimente se posent en contrepoint des impasses politiques nationales. Elle témoigne d’une capacité réelle, quoique sous contraintes nationales et internationales, à arbitrer des tensions entre survivance des ONG et mise en mouvement féministe.
L'expérience vécue de la microfinance (PDF)
Isabelle Guerin
À partir de l’exemple de la microfinance, l’objet de cet article est d’analyser l’expérience vécue de normes de développement standardisées. Le suivi d’une quinzaine de femmes dans la durée met en évidence le décalage entre des normes misant sur l’émancipation individuelle des femmes et un contexte de très forte dépendance, tant matérielle qu’identitaire. L’analyse montre également les pratiques de contournement qui résultent de ce décalage et leurs conséquences en termes d’évolution et de recomposition des rapports sociaux. Certaines femmes parviennent à se saisir de ces normes, à les manipuler et à se les approprier afin de se créer des espaces de micro-libertés. Ce processus d’appropriation reste toutefois réservé à une minorité de femmes, tout en étant chaotique et très conflictuel. On assiste à l’émergence de femmes leaders dans un cadre patriarcal qui reste très oppressif. Au final, la microfinance s’avère incapable de bouleverser les rapports sociaux, mais participe néanmoins de leur recomposition et de la multiplication des identités.
Elisabeth Marteu
Cet article porte sur les effets de circulation des notions d’empowerment, de genre et de féminisme dans les stratégies d’extraversion des associations de femmes bédouines du Néguev en Israël. À partir d’une étude localisée des modes d’appropriation et de reformulation de ces cadres d’analyse et d’action, il s’agit de comprendre comment les structures féminines et/ou féministes locales construisent leurs répertoires d’action sous l’effet de ressources et de contraintes multi-niveaux (locales, nationales et internationales). Au-delà d’une neutralisation politique du genre diffusée par les politiques d’aide internationales, il convient de comprendre comment les associations de femmes perçoivent et utilisent les notions d’empowerment, de genre et de féminisme. Dans un contexte fortement fragmenté et conflictuel comme le contexte israélo-palestinien, l’arbitrage entre ces termes est d’autant plus politique qu’ils sont pour les uns porteurs de changement social et de démocratisation, et pour les autres le signe d’un néocolonialisme hégémonique. Les associations de femmes bédouines du Néguev sont au coeur de ces tensions. Leur étude permet d’abord de repenser la transnationalisation des idées à partir des processus de reconfiguration locale de l’épistémologie féministe, ensuite de mettre au jour les différentes stratégies d’adaptation et de transposition pratique de ces notions par les associations de femmes.
Mouvement associatif des femmes en Mongolie et partenariats internationaux (PDF)
Anna Jarry-Omarova
En 1992, dès l’instauration de la démocratie, s’est constitué en Mongolie un mouvement associatif composé quasiment exclusivement de femmes. Leur objectif premier est la participation à la construction de cette nouvelle démocratie en laquelle elles ont placé tous leurs espoirs, par le biais de la défense de ce qu’elles nomment « l’égalité de genre » et la promotion des femmes en politique. Elles font cependant face à un problème crucial : celui du manque de moyens. C’est alors que les seuls acteurs qui vont les soutenir seront les bailleurs de fonds internationaux, comme la Banque mondiale, l’ONU et diverses fondations privées essentiellement américaines et républicaines. Ce partenariat généralisé avec des entités étrangères va d’abord être utilisé comme une double ressource, matérielle et symbolique. Cet article va montrer pourtant comment c’est précisément cette dimension symbolique qui va être retournée contre elles, provoquant un véritable « contre effet-boomerang » à cause d’un nationalisme qui, s’il n’est pas aussi manifeste que dans d’autres pays, n’en est pas moins construit sur la domination masculine.