CIAO DATE: 04/2014
Volume: 71, Issue: 0
Autumn 2008
Editorial. Confinement des étrangers : entre circulation et enfermement (PDF)
Chowra Makaremi, Carolina Kobelinsky
« C’est vers l’autre monde que part le fou sur sa folle nacelle ; c’est de l’autre monde qu’il vient quand il débarque. [...] Situation symbolique et réalisée à la fois par le privilège qui est donné au fou d’être enfermé aux portes de la ville : son exclusion doit l’enclore ; s’il ne peut et ne doit voir d’autre prison que le seuil lui-même, on le retient sur le lieu du passage. Il est mis à l’extérieur de l’intérieur, et inversement. [...] Enfermé dans le navire, d’où il n’échappe pas, le fou est confié à la rivière aux mille bras, à la mer aux mille chemins, à cette grande incertitude extérieure à tout. Il est prisonnier au milieu de la plus libre, de la plus ouverte des routes : solidement enchaîné à l’infini carrefour. Il est le Passager par excellence, c’est-à-dire le prisonnier du passage. Et la terre sur laquelle il abordera, on ne la connaît pas, tout comme on ne sait pas, quand il prend pied, de quelle terre il vient. Il n’a sa vérité et sa patrie que dans cette étendue inféconde entre deux terres qui ne peuvent lui appartenir. »Foucault M., Histoire de la folie à l’âge classique
Morgane Iserte
L’objet de cet article est de décrire certaines procédures du dispositif de contrôle migratoire relatives à l’entrée sur le territoire français et au transit en zone dite « internationale » des étrangers, telles que mises en œuvre dans la zone d’attente du site aéroportuaire de Paris-Charles de Gaulle. Notre idée est d’illustrer la mutation des techniques de confinement des étrangers au regard de l’évolution des exigences sécuritaires en matière de contrôle de l’immigration au sein de cette plate-forme aéroportuaire. L’analyse des méthodes policières de « dissuasion aéroportuaire » et des techniques de maintien en zone d’attente, dans un contexte d’intensification de la surveillance du mouvement, nous renseigne sur la mise en place d’un espace global sécuritaire auquel participent les nombreux acteurs privés et publics présents sur le site de Roissy. Nous chercherons à montrer quelles en sont les conséquences sur le traitement des personnes maintenues en zone d’attente.
Mathile Darley
Cet article s’appuie sur une ethnographie des pratiques de contrôle déployées à la frontière tchéco-autrichienne entre 2004 et 2007, alors que celle-ci constitue encore l’une des frontières extérieures de l’espace Schengen. Il s’agit de mettre en perspective les politiques nationales de mise en visibilité du contrôle frontalier d’une part, et les pratiques locales de contrôle et de coopération policière d’autre part. Au-delà des discours présentant le contrôle frontalier comme implacable et la coopération transnationale comme un pilier de la sécurité des frontières, les pratiques locales dessinent une réalité plus malléable, tout en laissant entrevoir la matérialité que conservent les limites nationales dans les représentations policières : loin de signifier une diminution des contrôles, la disparition de la frontière Schengen entre l’Autriche et la République tchèque fin 2007 semble alors devoir s’inscrire dans un contexte plus large de déplacement et de redéfinition des formes de contrôle et de mise à l’écart des étrangers indésirables.
Chowra Makaremi
Dans les pays occidentaux, le contrôle des frontières et la construction des « camps d’étrangers » témoignent de nouvelles distributions du pouvoir qui passent par l’accès à la mobilité. Celles-ci impliquent non seulement des transformations matérielles et technologiques de la frontière, son renforcement ou sa disparition, qui organisent la circulation et son entrave institutionnalisée, mais produisent également de nouveaux espaces : des espaces paradoxaux d’enfermement sans dehors et de déplacement sans lieu d’arrivée. C’est sur cette piste de recherche que nous a conduit une observation empirique dans un centre de détention pour étrangers « non-admis » en France et pour demandeurs d’asile à la frontière : la « Zone d’attente pour personnes en instances » (Zapi) de l’aéroport de Roissy. Dans cette zone particulièrement complexe, le dispositif de contrôle, les procédures de « maintien en zone d’attente » et de refoulement donnent à voir une frontière qui – contrairement à ce que laissent croire les effets d’annonce politiques et la raison policière – est loin de se refermer sur un espace national homogène qu’elle viendrait clore et garder. Au contraire, elle semble, d’une part, ouvrir sur un espace – extra-étatique – de déambulation, qui enferme les voyageurs dans des itinéraires multiples et une série de passages. D’autre part, elle participe d’un réseau frontalier à l’intérieur du territoire, qui saisit les individus dans des espaces de suspension administrative (celle du « demandeur d’asile-sans papier » mis sous procédure d’asile prioritaire) et des espaces, interdépendants, d’enfermement (le centre de rétention administrative, la zone d’attente, la prison de droit commun). Comment se met en place ce dispositif qui réactive les frontières nationales à l’intérieur de l’espace social ?
Chowra Makaremi
En los países occidentales, el control de las fronteras y la construcción de “campos de extranjeros” son testigos de una nueva distribución del poder que pasa por el acceso a la movilidad. Esta implica no solamente la transformación material y tecnológica de la frontera, su reforzamiento o su desaparición, factores que organizan la circulación y su bloqueo institucionalizado, sino que también produce nuevos espacios: espacios paradójicos de confinamiento en los que existe el “dentro” pero no el “fuera”, y espacios de desplazamiento sin lugar de destino. La observación empírica en un centro de detención para extranjeros "no admitidos" en Francia y para solicitantes de asilo en la frontera nos condujo a esta pista de investigación: la “zona de espera para personas pendientes de entrar en el Estado francés” (Zone d’attente pour personnes en instances, Zapi) del aeropuerto de Roissy (Paris-Charles de Gaulle). En esta zona extremadamente compleja, el dispositivo de control, los procedimientos de “mantenimiento en zona de espera” y el rechazo revelan una frontera que –contrariamente a lo que quieren demostrar los efectos de anuncio políticos y la razón policial– está lejos de acotar un espacio nacional homogéneo cerrado, al que justamente pretendía cerrar y proteger. Al contrario, más bien parece abrir un espacio extraestatal de vagabundeo que encierra a los pasajeros en itinerarios múltiples y una serie de pasillos. Por otro lado, esta frontera forma parte de una red fronteriza en el interior del territorio, que se hace con el control de los individuos en espacios de suspensión administrativa (la del “solicitante del asilo sin papeles” en procedimiento de asilo prioritario) y de espacios interdependientes de confinamiento (el centro de retención administrativa, la zona de espera, la prisión de derecho común). ¿Cómo se aplica este dispositivo que reactiva las fronteras nacionales en el interior del espacio social?
Les droits de l'Homme en zones d'attente : condamnation européenne et résistances françaises (PDF)
Christel Cournil
Le 12 octobre 2006 et 26 avril 2007, la Cour européenne des droits de l’Homme a rendu deux décisions importantes sur les droits des étrangers détenus en zone d’attente. Elles condamnent la Belgique et la France. Dans la première décision, la Cour européenne a pu définir les obligations négatives et positives que doivent remplir les Etats à l’égard des mineurs isolés (détention en ultime recours, accueil spécifique et séparé des adultes en zone d’attente, précautions dans la mise en œuvre du refoulement, etc.). Si elle a relevé les carences de la législation belge, qu’en est-il de la compatibilité de ces exigences européennes au regard du droit français et ce, alors qu’on assiste à une accélération de la précarisation du droit des étrangers en France. Le droit français ne semble en effet pas conforme au droit conventionnel : il s’expose fortement à une énième condamnation de la Cour. Dans la seconde décision, le juge européen rappelle que le droit à un recours effectif suspensif doit être de « plein droit » ; ce que ne prévoyait pas la législation française. Il s’agira de revenir sur cette condamnation en l’explicitant et en l’analysant à l’aune de la loi Hortefeux.
Sarah S. Willen
Depuis le début de l’année 2007, près de 10 000 hommes, femmes et enfants africains – pour la plupart originaires du Darfour, du Sud Soudan et de l’Erythrée – ont traversé la longue et poreuse frontière égypto-israélienne, et ont demandé l’asile aux portes méridionales du territoire israélien. En Israël, ces arrivées ont fait l’objet d’une grande attention, d’importantes controverses et mobilisations, face auxquelles la réaction de l’Etat s’est caractérisée par une confusion conceptuelle, pratique et politique considérable, ou une « turbulence » (unruliness) gouvernementale. La turbulence de cette réponse étatique a certes été influencée par certaines positions nationalistes – dont l’auto-définition d’Israël comme « Etat juif et démocratique » fondée sur une approche démographique, et ses « inquiétudes démographiques » face à l’éventualité d’un afflux plus important de réfugiés. Mais elle a également été déterminée par le fait que certains de ces demandeurs d’asile ont vécu des événements lus comme faisant écho à la mémoire collective juive-israélienne de la Shoah ou l’Holocauste : ceux qui ont fui ce que la communauté internationale appelle le « génocide du Darfour ». En explorant à la fois le pouvoir et les limites de cette analogie historique efficace, l’article cherche à explorer l’ambiguïté symbolique des pratiques de circulation migratoire et la façon dont les acteurs locaux répondent aux processus contemporains de demande d’asile – ainsi qu’aux formes de violences étatiques qui peuvent y répondre – en « raisonnant à travers l’histoire » de manières sensiblement différentes.
Christophe Wasinski
En tant qu’outil traditionnel du pouvoir, il est légitime que les forces armées fassent l’objet d’attention de la part notamment de représentants politiques, de journalistes, de membres d’organisations non gouvernementales et, bien entendu, de chercheurs. Très régulièrement, cette attention porte sur le déroulement et les résultats des opérations ou sur le choix du matériel militaire. Mais, la légitimité des doctrines militaires sous-jacente aux actions peut aussi être mise en question. Bien qu’elle provoque rarement le déplacement de foules contestatrices, cette dernière forme d’investigation est essentielle car elle interroge l’essence même des pratiques militaires. La doctrine militaire codifiant la raison d’être de l’institution, son analyse paraît incontournable. C’est à ce travail, auquel à déjà contribué à plusieurs occasions la revue Cultures et Conflits, que l’article qui suit désire participer. Son objectif est d’apporter une perspective complémentaire à l’article de Christian Olsson, publié dans la même revue, sur la contre insurrection. Il s’agira ici non pas d’étudier la production d’un savoir militaire mais la façon dont il peut être remis en question. Pour être plus précis, nous désirons interpréter l’accusation de plagiat formulée par l’anthropologue David Price à l’encontre des experts civils et militaires qui ont rédigé l’actuel manuel conjoint de l’Armée de terre et du Corps des Marines pour la lutte contre l’insurrection. L’absence de références constitue un élément central dans le développement d’un scandale, aux proportions limitées il est vrai, sur internet. L’article consiste à exposer la construction d’une contestation civile et non technicienne dans le champ de la politique internationale et de sécurité et à s’interroger sur les conséquences de l’affaire.
Antonia Garcia Castro, Tomas Ruiz-Rivas
The earth beneath the feet. Interview on the installation "Communal grave" and the question of the missing people of the Spanish Civil War La tierra bajo nuestros pies. Entrevista con Tomás Ruiz-Rivas sobre la instalación “Fosa común” y la cuestión de los desaparecidos durante la guerra civil española
Etat des lieux de la lutte contre le financement du terrorisme : entre critiques et recommandations (PDF)
Anthony Amicelle
Objet atypique de par l’action publique transversale qu’elle mobilise, la facette financière de l’antiterrorisme a constitué la première réponse de l’administration américaine aux attentats de New York et Washington en 2001. En promulguant le décret présidentiel 13224 le 24 septembre 2001, Georges W. Bush a rendu publique la liste de vingt-sept individus et organisations présumés « terroristes » et a – entre autres choses – ordonné le gel de leurs avoirs financiers. Le front financier a ainsi marqué les prémices de la « guerre contre le terrorisme ». Deux objectifs traversent cet aspect de la stratégie antiterroriste : pister l’argent afin de suivre les « terroristes » à la trace et geler les fonds afin de perturber leurs activités.
Carolina Kobelinsky
Les demandeurs d’asile dont la requête a été rejetée et qui ont épuisé leurs moyens de recours juridictionnels disposent de quatre semaines pour quitter leur centre d’accueil et le territoire national. « Faire sortir les déboutés », c’est-à-dire les expulser du centre de manière plus ou moins forcée, est considérée comme une tâche pénible pour les intervenants des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) en France et devient de plus un plus un véritable « dilemme » pour ces « professionnels du social ». Ces « sorties » constituent pour l’observateur des moments exemplaires où se cristallisent les tensions entre les divers acteurs du confinement. A partir d’une enquête ethnographique menée notamment dans deux CADA qui se trouvent dans la banlieue d’une grande agglomération, il s’agit ici d’analyser ce que « les sorties » des déboutés disent sur la gestion des demandeurs d’asile. Ce faisant, l’article explore le rôle ambigu des intervenants sociaux travaillant pour les associations gestionnaires de l’Etat lorsqu’il s’agit non plus seulement de contrôler mais aussi d’expulser les étrangers.