Columbia International Affairs Online: Journals

CIAO DATE: 11/2008

Reopening wounds? The Bosnian Parliament and the Bosnian Responsabilities’ Issue

Cultures & Conflits

A publication of:
Cultures & Conflits

Volume: 65, Issue: 0 (Spring 2007)


Xavier Bougarel

Abstract

In the summer of 1995 already, various polemics broke out on possible tactical mistakes of the Bosniac political and military leaders and on a hypothetical abandonment of the Srebrenica enclave. Later on, these polemics were fed by the internal conflicts of the Party of Democratic Action (SDA), the first demonstrations of the enclave’s survivors, and the forecoming general elections of September 1996. Against this background, the Parliament of the Republic of Bosnia-Herzegovina organized on the 1st of August 1996 a debate on the causes of the fall of Srebrenica. The analysis of this debate allows for a better understanding of the ways in which the question of the possible Bosniac responsibilities in the fall of Srebrenica is in fact related to larger interrogations on the way the SDA leaders exerted political power and defined their war aims.

 

Dès l’été 1995, diverses polémiques ont vu le jour sur de possibles erreurs tactiques des dirigeants politiques et militaires bosniaques ou un hypothétique abandon de l’enclave de Srebrenica. Par la suite, ces polémiques ont été alimentées par les dissensions internes au Parti de l’action démocratique (SDA), les premières manifestations des survivants de l’enclave et l’approche des élections générales de septembre 1996. Dans ce contexte, le Parlement de la République de Bosnie-Herzégovine a organisé le 1er août 1996 un débat sur les causes de la chute de Srebrenica. L’analyse de ce débat permet de mieux comprendre comment la question des éventuelles responsabilités bosniaques dans la chute de Srebrenica renvoie en fait à d’autres interrogations plus larges sur les modes d’exercice du pouvoir politique par les dirigeants du SDA d’une part, sur leurs buts de guerre d’autre part.

Full Text

Rouvrir les blessures ? Le Parlement de Bosnie-Herzégovine et la question des responsabilités bosniaques

 

« Nous ne sommes pas tous pareillement coupables pour Srebrenica et cela doit disparaître de l'ordre du jour, nous ne pouvons pas tous être pareillement coupables et nous ne pouvons pas tous décider de cette question. Mais nous devons poser certaines questions qui ne sont peut-être pas vraiment les plus belles sur ce que nous avons fait de nôtre côté 1 ».

(Ekrem Ajanovic, 1er août 1996)

 

Le massacre de Srebrenica en juillet 1995 est unanimement perçu par les Bosniaques 2 comme l'un des principaux symboles du génocide qu'ils ont subi lors du récent conflit et de l'attitude passive - voire complice - de la communauté internationale au cours de celui-ci. Du reste, la plupart des ouvrages publiés en Fédération 3 sur les événements de Srebrenica constitue soit des témoignages de rescapés, soit des traductions de reportages et de rapports officiels parus à l'étranger, et ceux-ci restent centrés sur la dénonciation des crimes serbes et de la passivité onusienne. Dans le même temps, toutefois, la question d'éventuelles responsabilités bosniaques dans la chute de Srebrenica reste l'objet de vives polémiques, portant essentiellement sur de possibles erreurs tactiques des dirigeants politiques et militaires bosniaques et sur un hypothétique abandon de l'enclave dans le cadre d'un marchandage territorial plus vaste. De manière indirecte, ces polémiques renvoient à la question plus large des buts de guerre des dirigeants bosniaques, comme nous tâcherons de le montrer dans la dernière partie de cet article.

Cette question a aussi fait l'objet, le 1er août 1996, d'un débat au Parlement de la République de Bosnie-Herzégovine 4. C'est sur ce débat parlementaire que nous voudrions nous concentrer ici, en reconstituant tout d'abord les dynamiques qui ont conduit à son organisation, puis en nous intéressant à ses participants et à son contenu. L'objectif de cet article n'est donc en aucun cas de déterminer les éventuelles responsabilités bosniaques dans la chute de l'enclave - responsabilités qui, en tout état de cause, n'atténuent en rien la culpabilité des auteurs et des commanditaires du massacre. Cet article cherche plutôt à montrer comment rumeurs et tabous, manifestations de rue et manœuvres de couloir, attaques personnelles et enquêtes officielles ont contribué à façonner une interrogation qui, depuis, n'a cessé de ressurgir.

Cette interrogation lancinante ne vaut pas seulement pour ce qu'elle nous apprendra peut-être un jour sur certains aspects des événements de Srebrenica. En effet, la manière dont la question des responsabilités bosniaques est débattue - ou pas - au sein de la communauté bosniaque est aussi révélatrice de certains modes d'exercice du pouvoir et de structuration de l'espace public. Même s'il s'avérait finalement ne reposer que sur des rumeurs infondées, le débat sur les éventuelles responsabilités bosniaques dans la chute de Srebrenica continuerait donc de refléter certaines réalités essentielles de la Bosnie-Herzégovine d'après-guerre et de mériter, à ce titre, d'être pris au sérieux.

Exigence de vérité contre impératif d'unité : aux origines d'un débat

Les premières interrogations concernant d'éventuelles responsabilités bosniaques dans la chute de Srebrenica et de Zepa apparaissent dès l'été 1995. Le 13 juillet, en effet, Becir Heljic, un des représentants de l'enclave de Zepa à Sarajevo, estime que « Zepa, Srebrenica, Gorazde sont des monnaies d'échange pour le monde, mais aussi pour notre politique officielle 5 », suscitant les protestations immédiates du Parti de l'action démocratique (SDA) au pouvoir. Quelques jours plus tard, Naser Oric, commandant de l'enclave de Srebrenica rappelé en Bosnie centrale en mars 1995, déclare à Ratna tribina (« Tribune de guerre »), un journal lié aux populations de Bosnie orientale 6 :

« Je n'ai pas trahi Srebrenica, même si beaucoup se sont efforcés de me présenter ainsi. Au lieu de m'aider à trouver des armes et à les transporter là-bas, ils ont cherché à l'avance des accusations et des coupables. J'irai devant mes combattants, quand nous ferons notre jonction [7], et je leur dirai ce qui s'est passé ici. Je leur dirai la vérité. Qu'ils disent alors si je suis le coupable ou quelqu'un d'autre 8 ».

Ces propos reflètent un sentiment d'abandon très répandu parmi les combattants de la 28e division ayant réussi à rejoindre les « territoires libres », et dont certains, à peine arrivés à Tuzla, pénètrent de force dans le bâtiment de l'état-major du 2e Corps pour y demander des comptes. Enfin, lors d'une réunion organisée fin juillet en présence du président Alija Izetbegovic pour apaiser les tensions entre les représentants des enclaves, le commandement du 2e Corps et les autorités du canton de Tuzla, Hakija Meholjic, ancien chef de la police dans l'enclave de Srebrenica, demande la création d'une Commission d'enquête sur les responsabilités de l'ONU et des autorités de Sarajevo, mais se heurte alors au refus d'Izetbegovic 9.

Les représentants des enclaves ne sont pas les seuls à évoquer la question d'éventuelles responsabilités bosniaques. Le 13 juillet également, Nijaz Durakovic, président du Parti social-démocrate (SDP, ex-communiste) et seul membre bosniaque de la présidence collégiale bosnienne à ne pas appartenir au SDA 10, se demande « pourquoi, malgré un contexte extrêmement difficile, la défense de Srebrenica n'a pas été mieux préparée, pourquoi certaines actions n'ont pas été mieux planifiées et organisées à l'avance », et espère que, « quand se sera apaisée cette forte vague d'émotion, ces questions seront mises à l'ordre du jour. Depuis trop longtemps est passée sous silence la responsabilité de certains échecs patents 11 ». Une semaine plus tard, le SDP estime « inacceptable que la présidence, en tant qu'organe [collectif], ne se soit pas encore exprimée à propos de Srebrenica 12 ». Toutefois, si les dirigeants de l'opposition s'accordent pour demander

« que soient sérieusement examinées les causes de l'insuffisante efficacité des structures étatiques, militaires et politiques à prévenir la tragédie de Srebrenica, et que soient établies les responsabilités concrètes, si elles existent 13 »,

ils restent prudents dans leur interprétation des événements : réagissant aux propos de Becir Heljic, ils les qualifient de « conséquence logique de nombreuses histoires, probablement infondées, sur une supposée trahison [des autorités de Sarajevo] 14 », et soulignent qu'« il ne faut pas renvoyer la balle de la responsabilité dans le camp du pouvoir [bosnien] 15 ».

Le SDA au pouvoir, quant à lui, cherche à amortir l'impact politique de la chute des enclaves. Réuni le 11 juillet pour entériner certains amendements constitutionnels 16, le groupe parlementaire du SDA n'est pas informé de la chute de Srebrenica 17 et, le 4 août, cette question n'est même pas inscrite à l'ordre du jour de la session du Parlement. Quand ils s'adressent à leur propre opinion publique, les dirigeants du SDA s'efforcent de minimiser l'ampleur de la catastrophe, parlant d'« occupation provisoire [de Srebrenica] 18 », et affirmant qu'« une grande partie des hommes a réussi à s'extraire de cette région 19 ». Surtout, ils considèrent que les questions des représentants des enclaves et des partis d'opposition menacent l'unité de la nation bosniaque, rejettent catégoriquement l'hypothèse d'un échange territorial implicite entre les enclaves de Bosnie orientale et les quartiers de Sarajevo sous contrôle serbe et renvoient l'examen des éventuelles responsabilités bosniaques à l'après-guerre. Tel n'est toutefois pas l'avis du Premier ministre Haris Silajdzic qui, en désaccord croissant avec les instances dirigeantes de son propre parti, présente sa démission le 5 août et part ostensiblement pour Tuzla, afin d'y rencontrer des représentants de l'opposition et les réfugiés des enclaves. Interrogé sur la chute de Srebrenica, il répond :

« J'escomptais que ce cas serait examiné lors de la dernière session du Parlement. [...] Le gouvernement ne fixe pas l'ordre du jour du Parlement. Je suis d'accord avec vous pour dire que, après tout ce qui s'est passé à Srebrenica, tout ne pouvait pas rester comme auparavant 20 ».

Au cours des semaines qui suivent la chute de Srebrenica, le débat naissant sur la question des responsabilités bosniaques se déroule donc moins dans le cadre des institutions légales qu'au sein du parti au pouvoir. Le 3 août 1995, devant le groupe parlementaire du SDA, Haris Silajdzic demande la démission de Rasim Delic, chef de l'état-major de l'armée, reproche à Alija Izetbegovic d'avoir « rendu la tâche plus facile aux Serbes dans ce qu'ils avaient l'intention de faire depuis longtemps » en annonçant au printemps le prochain désenclavement de Sarajevo, et y voit une conséquence tragique de l'existence de réseaux de pouvoir parallèles contrôlés par Izetbegovic et son entourage 21. Les dirigeants du SDA, au contraire, tendent à rejeter la responsabilité de la chute de Srebrenica non seulement sur l'ONU et les grandes puissances, mais aussi sur les responsables politiques et militaires de l'enclave. En réponse à Silajdzic, Delic affirme ainsi que Srebrenica « n'est pas tombée militairement, mais politiquement, c'est-à-dire psychologiquement » et accuse les dirigeants de l'enclave de ne pas avoir suivi les instructions qu'ils avaient reçues de Sarajevo 22. Quant à Izetbegovic, il estime qu'« il n'est pas correct d'utiliser une petite crise de l'armée pour lancer une attaque contre l'armée », mais évoque pour la première fois l'idée d'une commission d'enquête parlementaire, car « si [l'enclave] pouvait se défendre, alors quelqu'un est coupable pour la mort de plusieurs milliers de personnes 23 ». Deux jours plus tard, devant les instances dirigeantes du SDA réunies en session extraordinaire, il dénonce le « comportement indigne de certains des nôtres, des faiblards, qui ont cédé et ont commencé à négocier avec l'ennemi, puis ont décidé de fuir et ont convaincu la population qu'elle devait également fuir 24 ».

Dès l'été 1995, les principaux protagonistes du débat sur la question des responsabilités bosniaques - représentants des enclaves, partis d'opposition, SDA au pouvoir et Haris Silajdzic en rupture de ban - sont donc en place. De même, les points de cristallisation de ce débat sont déjà perceptibles. Ainsi, dans son numéro du 31 juillet, Ratna tribina reproche aux autorités de Sarajevo l'insuffisance des livraisons d'armes aux enclaves de Bosnie orientale, le rappel en Bosnie centrale de Naser Oric et de plusieurs autres officiers quatre mois avant le début de l'offensive serbe, l'absence de toute initiative militaire d'envergure pour aider la colonne partie en direction des « territoires libres » 25. Puis, rappelant les tensions qui ont toujours opposé les unités militaires originaires de Bosnie orientale à leur propre hiérarchie, il y voit autant d'indices d'un « plan global d'abandon de la vallée de la Drina 26 » et demande si, « en plus du territoire, devaient être sacrifiées la population et l'armée 27 ». Ratna tribina refuse donc que la responsabilité de la chute de Srebrenica soit attribuée aux gens de l'enclave, estimant au contraire que « les généraux sont coupables » mais que l'« on sacrifie Naser Oric pour sauver des galons de généraux 28 ». Dans les mois qui suivent, toutefois, le retour de Silajdzic sur sa menace de démission, l'attitude en retrait des partis d'opposition, la dispersion des combattants de la 28e division entre différentes unités, l'installation des réfugiés dans des sites d'hébergement éloignés des grands centres urbains et - last but not least - les frappes aériennes de l'OTAN et les victoires de l'Armée de la République de Bosnie-Herzégovine (ARBiH) en Bosnie occidentale font passer la catastrophe de Srebrenica au second plan de l'actualité. Il faut alors attendre l'arrêt des hostilités pour que la question des responsabilités bosniaques ressurgisse au cœur de la vie politique bosnienne.

Recherche des disparus, mouvement des femmes et crise interne au SDA

En attribuant la vallée de la Drina à la Republika Srpska et les quartiers de Sarajevo sous contrôle serbe à la Fédération, les accords de paix signés à Dayton le 14 décembre 1995 relancent inévitablement les rumeurs de marchandage territorial au détriment des enclaves de Bosnie orientale 29. Dans le même temps, l'organisation des échanges de prisonniers sous l'égide du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) repose avec acuité la question du sort des milliers d'hommes disparus après la chute de Srebrenica et de Zepa. Enfin, et plus généralement, l'arrêt des hostilités, la démobilisation des combattants, l'essor des médias indépendants et l'annonce de la tenue d'élections générales en septembre 1996 favorisent l'expression de tensions sociales et politiques restées jusqu'alors sous-jacentes.

Il est donc logique que la fin de la guerre corresponde avec les premières manifestations des rescapés des enclaves de Bosnie orientale. Le 29 janvier 1996, en effet, l'Aktiv zena 30 de Srebrenica organise un rassemblement de 2 000 personnes - principalement des femmes - devant le siège du CICR à Tuzla, afin d'obtenir des informations sur le sort des disparus. Excédés par le mutisme de cette organisation, certains manifestants en saccagent les locaux. Dans les jours qui suivent, les événements prennent une tournure plus gênante pour le pouvoir, car, hormis le sort des disparus qui reste la préoccupation centrale des manifestants, d'autres thèmes font leur apparition. D'une part, les dirigeants de la municipalité de Srebrenica et du canton de Tuzla sont accusés d'avoir détourné les fonds collectés au cours de l'été 1995. D'autre part, les rumeurs d'un abandon de l'enclave refont surface et, pendant que certains manifestants exigent qu'Izetbegovic vienne les rencontrer à Tuzla, d'autres annoncent leur intention de voter pour Silajdzic qui vient de quitter son poste de Premier ministre et de rompre définitivement avec le SDA 31. Enfin, le 2 février, après que les dirigeants du canton de Tuzla ont refusé de rencontrer les manifestants, la situation dégénère à nouveau et les fenêtres du siège du gouvernement cantonal sont détruites à coup de pierres.

Ces manifestations, véritable acte de naissance du mouvement des femmes de Srebrenica, placent les autorités de Sarajevo dans une situation délicate. Le 10 février, Izetbegovic se rend donc à Tuzla et, accompagné de Izet Hadzic, gouverneur du canton de Tuzla, et de Naser Oric, rencontre 2 000 à 3 000 réfugiés de Srebrenica dans le principal gymnase de la ville. Dans son discours introductif, il déclare que « pour des milliers de gens, il n'y a pas d'espoir qu'ils soient vivants ; pour quelques dizaines ou quelques centaines, il y en a un », demande à son auditoire de ne tolérer aucune « politisation » de leurs demandes, et annonce la création d'un comité de cinq membres - dont deux représentants de Srebrenica 32 - chargé de superviser toutes les activités liées à la recherche des disparus et à la prise en charge des réfugiés. Lors de la discussion qui suit, Izetbegovic est vivement pris à partie par certains intervenants, qui lui demandent entre autres : « est-ce que Srebrenica a été vendue et, si tel est le cas, pourquoi ont été sacrifiées 10 000 personnes ? », « est-ce que quelqu'un au gouvernement, à la présidence ou dans d'autres instances rendra un jour des comptes ? », « est-ce que vous êtes vous aussi coupable ? »33. Izetbegovic répond alors qu'« il est difficile de donner la bonne réponse aux neuf dixièmes de vos questions, car il n'y a tout simplement pas de réponse », avant d'ajouter : « nous avons défendu Srebrenica autant que nous le pouvions » et de justifier la signature des accords de Dayton 34.

La venue d'Izetbegovic à Tuzla, associée à l'annonce de mesures concrètes en faveur des réfugiés de Srebrenica, permet de mettre un terme aux manifestations. Mais la question des responsabilités bosniaques rebondit immédiatement au Parlement, qui est ainsi amené à débattre une première fois des événements de l'été 1995. Le 12 février 1996, en effet, Amor Masovic, président de la Commission d'Etat pour les échanges de prisonniers, présente au Parlement un rapport sur les activités menées par l'institution qu'il dirige dans le cadre de la recherche des disparus de Srebrenica et de Zepa. A cette occasion, Mujo Kafedzic, député de l'Organisation musulmane bosniaque (MBO 35), rappelle que son parti a demandé dès août 1995 que le Parlement examine les circonstances de la chute des enclaves, et affirme que « les tentatives de certains cercles pour passer sous silence la responsabilité de certains organes locaux sont manifestes 36 ». Les parlementaires du SDA contre-attaquent alors en annonçant la préparation d'une analyse « neutre » des événements qui démontrera que « le concept des zones de sécurité était une condamnation à mort pour ces territoires » et en soumettant au Parlement une résolution en dix points sur Srebrenica 37. Celle-ci, retravaillée et adoptée le lendemain en commission, prévoit entre autres que :

« [...] 2. La Commission [pour les échanges de prisonniers, renommée Commission pour la recherche des personnes disparues] [...] présentera lors des prochaines sessions du Parlement, à moins que le Parlement n'en décide autrement, un rapport sur ce qu'elle a réalisé entre les deux sessions ; [...] 4. Les services pour l'étude des crimes de guerre consacreront leur attention aux circonstances de la tragédie de Srebrenica afin que soient identifiés les criminels de guerre qui ont ordonné et commis les crimes. [...] ; 5. Le Parlement de la RBiH mandate le gouvernement et ses organes compétents pour réaliser un rapport complet sur les problèmes des disparus, des prisonniers et des déplacés, incluant un rapport des forces armées de la République de Bosnie-Herzégovine sur les circonstances militaires de la chute de Srebrenica ; 6. Le Parlement de la RBiH demandera aux organes compétents du gouvernement un rapport détaillé sur l'attitude du facteur international [que représente] la FORPRONU, sur les responsabilités au sein des Nations unies et de l'OTAN, sur le Comité international de la Croix rouge et l'UNHCR avant, pendant et après la tragédie de Srebrenica [...] 38 ».

Au cours des mois suivants, le débat sur les éventuelles responsabilités bosniaques dans la chute de Srebrenica semble de nouveau retomber. Mais, dans les faits, plusieurs facteurs contribuent à en renouveler les protagonistes et les configurations. D'une part, suite au transfert des quartiers de Sarajevo sous contrôle serbe à la Fédération, le SDA encourage les réfugiés de Bosnie orientale à venir s'y installer, réactivant une fois encore les rumeurs de marchandage territorial et suscitant de vives tensions entre dirigeants du SDA et responsables politiques locaux favorables au retour. D'autre part, à la même époque, la libération des hommes de Zepa détenus en Serbie depuis juillet 1995 alimentent d'autres rumeurs selon lesquelles des milliers d'hommes de Srebrenica seraient retenus secrètement dans plusieurs mines de Serbie. C'est dans ce contexte troublé qu'entre en scène Ibran Mustafic, élu député SDA de Srebrenica en 1990, mais entré en conflit avec les dirigeants de l'enclave pendant la guerre et libéré du camp de Batkovic, en Republika Srpska, le 21 avril 1996.

Le retour d'Ibran Mustafic sur la scène politique bosnienne donne au débat sur les éventuelles responsabilités bosniaques un ton encore plus polémique, voire délirant. Le 27 mai 1996, lors d'une nouvelle session du Parlement, Mustafic dénonce dans un même élan la communauté internationale, les autorités de Sarajevo et les dirigeants de l'enclave. Le lendemain, il exige que soient constitués une commission chargée d'enquêter sur le sort des disparus et un fond chargé de centraliser les aides destinées aux réfugiés de Srebrenica, conformément à la résolution adoptée en février et suggère fortement qu'il serait le plus à même de diriger ces deux organismes. Le débat est alors interrompu par Dzevad Mlaco, président du groupe parlementaire SDA, qui annonce que ces questions seront traitées lors d'une rencontre à venir entre son groupe et les représentants de Srebrenica, et s'efforce ainsi de marginaliser Mustafic, voire de contourner une nouvelle fois les institutions légales.

Frustré dans sa tentative de réoccuper la position de représentant légitime de la population de Srebrenica, Ibran Mustafic se rallie au Parti pour la Bosnie-Herzégovine (SBiH), créé peu auparavant par Silajdzic 39. Surtout, le 14 juillet 1996, il accorde à l'hebdomadaire Slobodna Bosna (« La Bosnie libre ») un entretien explosif. Dans celui-ci, Mustafic affirme en effet que « l'enclave de Srebrenica [...] a été délibérément sacrifiée », et que « la présidence de Bosnie-Herzégovine et l'état-major ont été directement mêlés à ces intrigues ». Il alterne ensuite accusations relativement précises contre les autorités de Sarajevo et les dirigeants de l'enclave - qualifiés de « groupe de mafieux » ayant instauré un régime de terreur -, considérations plus générales sur le non-respect de la démilitarisation de la « zone de sécurité » et propos extravagants sur le fait que les dirigeants de l'enclave auraient franchi les lignes serbes sans encombre et laissé derrière eux des tracts incitant le reste de la colonne à se rendre 40. Mais, quel que soit le crédit à accorder aux propos de Mustafic, leur importance est ailleurs : pour la première fois, en effet, un responsable politique originaire de Srebrenica accuse publiquement de trahison les plus hautes instances de l'Etat.

Retour sur soi ou contre-feu ? Le débat parlementaire du 1er août 1996

Pour bien comprendre l'impact des accusations d'Ibran Mustafic, il convient également de les replacer dans un contexte plus large. D'une part, l'intensification de la campagne électorale et l'apparition du SBiH comme concurrent direct du SDA exacerbent les clivages internes à la communauté bosniaque. D'autre part, l'approche du premier anniversaire du massacre de Srebrenica, l'exhumation des premières fosses communes et l'inculpation in abstentia de Radovan Karadzic et Ratko Mladic par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) contribuent à ramener sous les feux de l'actualité les événements de juillet 1995, et donc, indirectement, la question des éventuelles responsabilités bosniaques.

Les commémorations du massacre se déroulent donc dans un contexte passablement tendu. Le 11 juillet, plusieurs personnalités bosniennes et étrangères assistent à Tuzla à une première cérémonie commémorative, pendant qu'Izetbegovic reste prudemment à Sarajevo. Dans un discours retransmis à la télévision, il dénonce « l'indifférence et l'hypocrisie des puissants qui pouvaient empêcher la catastrophe, mais ont sans cesse trouvé des raisons de ne pas le faire ». A la question : « qui est coupable ? », il répond que « les plus coupables sont en tout cas les assassins et leurs donneurs d'ordre, mais [que] nous sommes tous coupables, nous tous qui avons survécu », car « quand il se passe quelque chose d'aussi terrible que Srebrenica, il n'y a pas d'innocent 41 ». Le jour suivant, lors d'une autre cérémonie organisée à Tuzla par les autorités cantonales, le gouverneur Izet Hadzic et le maire de Srebrenica Fahrudin Salihovic sont sifflés par une partie de l'assistance, malgré les interventions de Naser Oric et de Ejup Ganic, vice-président de la présidence collégiale 42, qui appelle les Bosniaques à ne pas se laisser diviser en « enclaves politiques 43 » et qui présente le vote pour le SDA comme « le moyen pour rentrer à Srebrenica 44 ». De vives polémiques éclatent alors entre le SDA et l'opposition, l'hebdomadaire Ljiljan (« Le lys »), proche du SDA, accusant la mairie de Tuzla d'avoir orchestré les incidents du 12 juillet 45 et l'opposition répliquant que « le parti au pouvoir instrumentalise l'exode de Srebrenica 46 » et que « ceux qui ont fait partir la population de Srebrenica peuvent difficilement faire quoi que ce soit pour qu'elle y revienne 47».

Le débat parlementaire du 1er août 1996 apparaît dès lors comme une tentative précipitée de désamorcer, à six semaines des premières élections de l'après-guerre, la question des éventuelles responsabilités bosniaques dans la chute de Srebrenica. Ce débat est du reste organisé en l'absence d'Ibran Mustafic, qui participe en Allemagne aux meetings électoraux de son parti, Naser Oric n'est pas invité à y participer, et Semsudin Muminovic, l'officier ayant commandé les opérations de jonction avec la colonne 48 et devant initialement présenter un rapport sur cet aspect des événements de juillet 1995, est finalement prié de garder le silence 49. Ce débat se déroule donc en l'absence des représentants élus de Srebrenica et de certains protagonistes-clés des événements 50. Il faut en outre souligner que les hommes politiques bosniaques les plus importants n'y participent pas : Izetbegovic et Silajdzic sont absents de l'hémicycle et les dirigeants de l'opposition restent silencieux 51. Les exposés introductifs sont donc présentés par Rasim Delic, chef d'état-major, Hasan Dervisbegovic, vice-ministre des Affaires étrangères 52, et Hasan Muratovic, Premier ministre et ancien ministre chargé des relations avec la FORPRONU. Le débat, quant à lui, oppose certains ténors du SDA (Dzevad Mlaco, Avdo Campara, Irfan Ajanovic, Safet Isovic) à d'anciens députés SDA ayant rejoint le SBiH (Ekrem Ajanovic, Muharem Cero, Smail Ibrahimpasic), à deux députés sociaux-démocrates originaires de la région de Tuzla (Mustafa Sehovic, Igor Rajner) 53, et à certains représentants des populations de Bosnie orientale présents dans l'hémicycle 54. Enfin, la commission chargée de rédiger la résolution finale soumise au vote des députés est composée de représentants des principaux groupes parlementaires, mais n'inclut qu'un seul représentant des populations de Bosnie orientale et aucun député du SBiH 55.

Dans son exposé sur les causes militaires de la chute de Srebrenica, Rasim Delic rappelle les difficultés objectives qu'il y avait à défendre l'enclave, et insiste sur le fait que « la cause principale de la chute de Srebrenica est la trahison de la communauté internationale » qui l'a « honteusement rayée de la carte en l'abandonnant aux hordes meurtrières de l'agresseur serbo-monténégrin 56 ». Cette insistance se retrouve dans les exposés de Hasan Dervisbegovic et Hasan Muratovic, qui dénoncent « la politique d'agression, de nettoyage ethnique et de génocide menée contre toute la Bosnie-Herzégovine par le régime de Belgrade et ses quislings [locaux] 57 », reconstituent la chronologie des activités diplomatiques se rapportant à l'enclave de Srebrenica de mars 1993 à juillet 1995, justifient les choix des autorités de Sarajevo 58, et accusent Yasushi Akashi et le général Bernard Janvier 59 d'avoir « vendu Srebrenica en échange des [casques bleus retenus en otages par les Serbes en juin 1995], vraisemblablement avec l'accord de Monsieur Ghali, autorité suprême des Nations unies 60 ». Mais, alors que Dervisbegovic n'évoque qu'en passant le fait que, « pour notre conscience et comme leçon pour l'avenir, nous devrions nous aussi évaluer ce que nous avons fait 61 », Delic consacre l'essentiel de son exposé à la question d'éventuelles responsabilités bosniaques dans la chute de l'enclave et dans l'ampleur du massacre qui l'a suivie.

D'emblée, il réaffirme que, d'après lui, l'enclave était déjà tombée militairement en mars 1993, c'est-à-dire avant sa nomination à la tête de l'état-major. Il fait également valoir que, à partir d'avril 1994, d'importantes quantités d'armes avaient été transférées vers Srebrenica 62 et que des plans de défense et d'évacuation de l'enclave avaient été élaborés en coordination avec les autorités locales, mais que l'effondrement rapide de l'enclave et le non-respect des consignes ont empêché l'armée de se porter au secours de la colonne. Delic cherche donc à faire porter aux responsables de l'enclave l'entière responsabilité d'éventuelles défaillances dans la défense de Srebrenica ou la sauvegarde de sa population, énumérant les nombreux dysfonctionnements qui ont affecté l'enclave pendant toute la durée du siège 63 puis lors de l'offensive des forces serbes 64. A propos de Naser Oric, Delic affirme enfin qu'il a été rappelé en Bosnie centrale à sa propre demande, afin de discuter des problèmes internes à l'enclave, et a refusé de rentrer à Srebrenica après que l'hélicoptère effectuant la liaison avec les enclaves de Bosnie orientale ait été abattu le 7 mai 1995. Et d'ajouter à ce sujet :

« Quand il s'agit de Naser Oric, et de certains autres, je rappellerai que nous sommes tous hautement coupables, ensemble avec les médias, de créer des légendes à la légère sans tenir compte des faiblesses humaines que chacun a en lui, et pas qu'un peu, y compris Naser Oric 65 ».

C'est, finalement, la seule erreur que semble admettre Rasim Delic dans cette affaire.

Par la suite, le débat se cristallise autour de quelques points. En premier lieu, les députés du SDA insistent sur la « question du crime et du génocide contre les Bosniaques [de Srebrenica] 66 », quand ceux de l'opposition s'intéressent davantage aux circonstances de la chute de l'enclave 67. A ce premier clivage se superpose un second concernant l'articulation entre responsabilités internationales et locales. Au cours du débat, en effet, la dénonciation du massacre ou la demande de jugement des criminels serbes par le TPIY n'occupent qu'une place secondaire, car ces deux points font l'unanimité. De même, tous les intervenants accusent la communauté internationale d'avoir abandonné la population de l'enclave, voire d'être complice du massacre, et exigent que les principaux responsables onusiens comparaissent, en tant que témoins ou en tant qu'accusés, devant le « Tribunal international de La Haye 68 ». Mais, alors que les députés du SDA s'appuient sur ces éléments consensuels pour tenter d'évacuer la question des responsabilités bosniaques, les représentants de l'opposition et des populations de Bosnie orientale insistent sur la nécessité d'examiner également cet aspect de la chute de Srebrenica. Ainsi, Irfan Ajanovic (SDA) rejette les « spéculations politiques relatives à la chute de Srebrenica, qui sont maintenant au service de la campagne électorale 69 ». Ce à quoi Rajner rétorque que « manifestement, personne ne veut endosser une quelconque responsabilité, et [qu']il s'agit là de la meilleure façon de ne tirer aucun enseignement de cette tragédie 70 ». Sur cette base apparaît ensuite une ligne de fracture secondaire, portant sur les défaillances respectives de la hiérarchie de l'armée et des autorités de l'enclave, et opposant plutôt les députés, toutes tendances confondues, aux représentants des populations de Bosnie orientale 71.

Enfin, un dernier clivage apparaît sur le statut même du débat en cours. Pour les députés du SDA, cette session du Parlement doit clore le processus ouvert six mois plus tôt et mettre fin aux polémiques qui agitent la communauté bosniaque depuis l'été 1995 ; ils poussent donc à l'adoption rapide d'une résolution désignant la communauté internationale comme « coupable pour Srebrenica, pour la chute de Srebrenica, pour le génocide contre l'enclave bosniaque de Srebrenica et en particulier contre sa population civile 72 », et rechignent à l'idée de convoquer une nouvelle session du Parlement en présence des responsables politiques et militaires de Srebrenica, préférant confier à des instituts de recherche la rédaction d'un rapport sur les évolutions internes à l'enclave. Pour les députés de l'opposition, au contraire, cette session ne fait qu'ouvrir un examen de conscience trop longtemps repoussé ; ils demandent donc que le débat soit poursuivi en présence des représentants de l'enclave d'une part, des membres de la présidence collégiale d'autre part, et que soit constituée une véritable commission d'enquête, en lieu et place de la commission ad hoc chargée de rédiger un projet de résolution.

Dans les faits, la résolution présentée aux députés par Irfan Ajanovic reprend pour l'essentiel les positions défendues par le SDA. Elle déclare en effet que, « sur la base des rapports [présentés] et de la discussion approfondie » au cours de laquelle le Parlement a examiné « les causes du génocide contre la population bosniaque à Srebrenica et à Zepa », celui-ci constate que

« la communauté internationale est responsable d'avoir permis à l'agresseur serbe d'accomplir un génocide et un massacre sans précédent contre la population bosniaque de Srebrenica et de Zepa en tant que zones protégées et démilitarisées ».

Le Parlement constate également que les autorités de Sarajevo ont averti suffisamment à l'avance les représentants de l'ONU des préparatifs militaires serbes, que les forces armées « ne pouvaient rien faire de plus pour protéger et défendre Srebrenica », et que « les informations parcellaires selon lesquelles il n'aurait pas été fait assez pour Srebrenica ou Srebrenica aurait été sacrifiée sont sans fondement ». Sur cette base, le Parlement demande au TPIY de convoquer Boutros-Ghali et le général Janvier comme témoins, à l'ONU d'examiner les responsabilités de Boutros-Ghali, Akashi et Janvier dans le génocide perpétré à Srebrenica et à Zepa, à l'Institut de recherche sur les crimes contre l'humanité et le droit international ainsi qu'à l'Institut d'histoire de Sarajevo de collecter des informations sur ce même génocide, et aux organes d'Etat d'enquêter sur d'« éventuelles pratiques illégales » au sein de l'enclave de Srebrenica 73. Après une courte discussion, au cours de laquelle est évoquée la possibilité de demander à l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe de créer sa propre commission d'enquête, cette résolution est adoptée à l'unanimité, moins une abstention 74. Six semaines plus tard, les élections générales marquent la disparition définitive du Parlement de la République de Bosnie-Herzégovine, qui n'aura donc jamais l'occasion de siéger pour examiner les rapports que les instituts de recherche et les organes d'Etat précités sont censés lui présenter... tous les trois mois 75.

De la responsabilité politique en temps de guerre

Si l'on reconsidère dans son ensemble le débat sur la question des responsabilités bosniaques, il apparaît que tous ses participants font une distinction entre responsabilités criminelles, politiques et morales, s'efforcent d'établir sur cette base une hiérarchie des responsabilités entre les divers protagonistes de la crise de l'été 1995. Ceci explique que le rôle des dirigeants serbes et, bien souvent, des responsables onusiens, soit traité en termes de culpabilité (« krivica »), quand celui des dirigeants bosniaques l'est plutôt en termes de responsabilité (« odgovornost »). Dans cette hiérarchisation des responsabilités, un point au moins fait l'unanimité : les dirigeants serbes sont des criminels (« zlocinci »), et doivent être jugés par le TPIY, la seule question restant de savoir si cette culpabilité est limitée aux seuls commanditaires du crime 76. La dénonciation de la communauté internationale est elle aussi unanime, et conduit à des demandes d'inculpation ou d'audition de certains responsables onusiens, mais elle est parfois formulée en termes de passivité (« pasivnost ») et de non-respect du mandat de la FORPRONU, parfois en termes de trahison (« izdaja ») et de complot des grandes puissances. Enfin, les éventuelles responsabilités des dirigeants bosniaques sont toujours envisagées comme secondaires, car concernant la chute de l'enclave, et non le massacre qui s'en est suivi, et peuvent donner lieu à des demandes de démission, mais jamais à des demandes de poursuites judiciaires. Il reste que ces éventuelles responsabilités sont parfois qualifiées d'erreurs (« greske ») dues à l'incompétence (« nesposobnost ») des dirigeants politiques et militaires bosniaques, et parfois de trahison (« izdaja »), auquel cas la nature de leurs responsabilités tend à se rapprocher de celles des responsables onusiens.

Quoi qu'il en soit, c'est bien sur le principe de responsabilité politique qu'insistent tous ceux qui, rescapés, élus ou journalistes, entendent soumettre à un examen critique l'attitude des dirigeants bosniaques au cours de l'été 1995. Ainsi, quand Ratna tribina exige en juillet 1995 la démission de certains d'entre eux, c'est parce que

« la population de la vallée de la Drina les a élus et [que] ce serait plus qu'un acte moral qu'ils présentent leur démission. Ce serait la seule preuve que nos 'mandataires' accordent plus d'importance à la population qu'à leurs fauteuils 77 ».

Cette insistance sur la responsabilité politique des dirigeants bosniaques se retrouve à la même époque dans les propos de Nijaz Durakovic et de Haris Silajdzic, puis en février 1996 dans les questions adressées à Izetbegovic par certains réfugiés de Srebrenica. Elle explique enfin la volonté exprimée le 1er août 1996 par certains députés de l'opposition de « travailler en notre âme et conscience, comme députés ayant prêté serment dans ce Parlement 78 », de créer une véritable commission d'enquête parlementaire et de convoquer une nouvelle session du Parlement. Implicitement au moins, la question des éventuelles responsabilités bosniaques dans la chute de Srebrenica renvoie donc à une question beaucoup plus large : qu'est-ce que la responsabilité politique en temps de guerre ?

De cette question dépend, entre autres, le choix des cadres dans lesquels ce débat doit être posé. Dans les mois suivant la chute de Srebrenica, en effet, les dirigeants du SDA insistent sur la menace que constituerait un tel débat en période de guerre, argument en partie accepté par les dirigeants de l'opposition, quand ils déclarent par exemple que « nous devons dans tous les cas avoir confiance dans l'Etat 79 ». Les journalistes de Ratna tribina, au contraire, opposent à cette logique d'« union sacrée » la nécessité de tirer les leçons de la tragédie de Srebrenica et de demander des comptes aux principaux responsables. C'est dans ce contexte qu'il faut resituer les propos de Hasan Hadzic expliquant que « la tragédie de Srebrenica est la partie la plus trouble de la conscience de cet Etat, et c'est pourquoi l'Etat doit rapidement désigner des coupables. Si cela ne se produit pas, alors tout perdra son sens 80 ». A cette question des cadres temporels du débat s'ajoute celle de ses cadres institutionnels. Ainsi, en juillet 1995, le quotidien Oslobodjenje considère que la question des responsabilités bosniaques « n'est pas et ne doit pas être l'objet d'analyses journalistiques, mais du travail sérieux des organes d'Etat 81 ». A la même époque, le représentant local de la MBO souhaite qu'une réunion extraordinaire des partis politiques de Tuzla soit « la dernière au cours de laquelle nous accuserons les autres, et ne parlerons pas de nos propres fautes » ; le président de séance - et représentant du SDP - lui répond alors que « cette assemblée n'est pas compétente pour examiner ces questions 82 ». D'août 1995 à août 1996, les demandes d'un débat parlementaire sur les circonstances de la chute de Srebrenica reflètent donc aussi une volonté de trouver un cadre institutionnel légitime pour l'examen de cette question délicate et, plus largement, de restaurer le Parlement dans son rôle de contrôle de l'exécutif 83.

Pourtant, au cours du débat lui-même, certains députés semblent douter de la pertinence de ce choix, en soulignant les limites et les risques. Ainsi, Ekrem Ajanovic (SBiH) clôt son intervention en déclarant  « je vais m'interrompre ici et si je considère qu'il faut poser certaines questions, je les poserai par écrit en d'autres lieux, car apparemment tout ne peut pas être dit ici au Parlement 84 ». De même, Igor Rajner (UBSD) estime que :

« ce n'est peut-être pas le bon endroit [pour tirer les leçons de Srebrenica]. Je suis même persuadé que cet endroit et ce débat reviennent à pressurer, voir à transpercer de nouveau une blessure de la nation bosnienne qui n'est pas encore cicatrisée, et qui, je le crains, ne le sera jamais 85 ».

Toutefois, Ekrem Ajanovic lui-même demande que « nous convoquions une session au cours de laquelle nous pourrons tous nous dire les yeux dans les yeux ce que nous avons fait ou pas fait, car nous devrons le faire un jour ou l'autre, maintenant ou dans dix ans 86 ». Et d'autres députés, tel Smail Ibrahimpasic (SBiH), insistent aussi sur la nécessité de cette confrontation douloureuse :

« [Srebrenica] est pour nous tous une blessure ouverte et nous qui appartenons aux générations l'ayant vécue ne l'oublierons jamais. [...] On ne connaîtra jamais toute la vérité, on ne peut jamais dire toute la vérité, historiquement il n'est pas bénéfique de la dire. Dans l'histoire, il y a toujours eu certaines choses que l'on n'a jamais su. Il y en aura aussi dans ce cas-là. Mais [...] quelqu'un doit dire les choses les plus importantes et prouver les choses les plus importantes, car si nous ne le faisons pas, alors le cas de Srebrenica rongera nos générations de l'intérieur, et ce pendant toute notre vie 87 ».

Ces hésitations de certains députés ne reflètent pas qu'un tiraillement entre exigences morales et considérations tactiques. Elles renvoient, plus essentiellement, à la question du lien entre responsabilité politique et responsabilité morale en temps de guerre. En effet, les députés les plus désireux de demander des comptes aux dirigeants du SDA justifient aussi leur attitude par leurs propres souffrances et interrogations morales. Le maire de Zvornik Camil Ahmetovic (SDA) affirme ainsi que « je veux que ma conscience soit propre 88 » et Igor Rajner semble presque s'excuser quand il annonce que « je dois dire ce qui me tourmente 89 ». Dans les deux cas, le principe de responsabilité morale vient renforcer celui de responsabilité politique. Mais l'idée d'une responsabilité morale universelle peut aussi dissoudre celle de responsabilité politique individuelle et identifiable. C'est le cas quand Mustafa Sehovic (SDP) estime : « nous avons une part de culpabilité, j'ai une part de culpabilité pour Srebrenica en tant que député, messieurs, chers amis, vous tous portez d'une certaine façon une part de culpabilité pour Srebrenica 90 », ou quand Izetbegovic, dans son discours du 11 juillet 1996, met en avant une définition métaphysique de la responsabilité et affirme que :

« quand il se passe quelque chose d'aussi terrible que Srebrenica, il n'y a pas d'innocent, chaque homme et chaque femme est coupable du fait que le Monde est tel qu'il est, et qu'est possible un Monde dans lequel Srebrenica est possible 91 ».

Finalement, et implicitement au moins, le débat sur la question des responsabilités bosniaques est donc un débat sur les modes d'exercice du pouvoir dans les territoires sous contrôle bosniaque : vouloir identifier d'éventuels responsables pour la chute de Srebrenica, c'est aussi chercher à localiser, à mettre à jour les vrais centres du pouvoir. Ce n'est pas un hasard, du reste, si le débat sur les éventuelles responsabilités bosniaques commence au sein du SDA plutôt que dans le cadre des institutions légales, et si le conflit qui oppose Silajdzic aux instances dirigeantes du SDA à propos de la chute de Srebrenica va de pair avec sa dénonciation des réseaux de pouvoir parallèles mis en place pendant la guerre. Enfin, ce lien existant entre débat sur les circonstances de Srebrenica et contestation des modes d'exercice du pouvoir instaurés par le SDA transparaît dans les réactions des dirigeants de ce parti. Mis en demeure de rendre des comptes, soit à la population de Srebrenica, soit au Parlement, ils s'efforcent le plus souvent d'échapper à cette obligation, soit en restant inaccessibles et silencieux, soit en remettant à plus tard l'examen des circonstances de la chute de Srebrenica, soit enfin en le confiant à des commissions dont ils fixent eux-mêmes la composition, et dont ils savent probablement qu'elles ne verront jamais le jour. Lorsque la pression sociale et politique se fait trop forte, leur stratégie consiste à éviter toute jonction entre la population de Srebrenica et les partis d'opposition, comme l'attestent la mise à l'écart d'Ibran Mustafic le 27 mai 1996 ou l'absence de représentants de Srebrenica lors du débat parlementaire du 1er août 1996, puis à calmer la situation en s'appuyant sur des pratiques héritées de la guerre et de la période socialiste. Ainsi, c'est fort de son aura de « père de la nation », incarné en d'autres temps et en d'autres circonstances par le maréchal Tito, qu'Izetbegovic rencontre les rescapés de Srebrenica et parvient à canaliser leur colère en juillet 1995 puis en février 1996 92. De même, c'est aussi en mobilisant de vieux réflexes d'unanimisme politique que le SDA obtient six mois plus tard l'adoption de la résolution finale par un Parlement (presque) unanime.

Srebrenica et la question des buts de guerre bosniaques

L'adoption d'une résolution niant toute responsabilité des autorités de Sarajevo dans la chute de Srebrenica permet de désamorcer cette question qui, en fin de compte, ne semble pas jouer de rôle déterminant dans les choix des électeurs bosniaques 93. Mais le débat parlementaire du 1er août 1996, qualifié par le quotidien Oslobodjenje de « lavage collectif de mains 94 », ne met pas fin aux rumeurs et aux polémiques entourant la chute de Srebrenica. Sur le moment, il s'accompagne même de nouvelles révélations contradictoires. Ainsi, l'hebdomadaire Ljiljan publie le 7 août une longue enquête s'appuyant entre autres sur des sources militaires confidentielles, et dont un des objectifs est manifestement de ruiner la réputation de Naser Oric 95. Cette tentative suscite les protestations indignées d'anciens officiers de l'enclave 96, et conduit Oslobodjenje à rendre publiques les « confessions de Naser Oric », dans lesquelles celui-ci raconte sa propre version des événements 97.

Au cours des années suivantes, les polémiques entourant la chute de Srebrenica ressurgissent à intervalles réguliers, en particulier à la veille des cérémonies commémoratives du massacre ou d'échéances électorales importantes. Mais les configurations ne sont plus les mêmes. En 1996, la question des éventuelles responsabilités bosniaques était liée à celle du sort des disparus et était relayée par une partie de la population de l'enclave, comme l'attestent les manifestations de février. Par la suite, les associations représentatives de la population de Srebrenica se désintéressent de cette question pour se concentrer sur l'identification et l'inhumation des victimes d'une part 98, l'arrestation et la condamnation des criminels de guerre serbes d'autre part 99. La plupart des anciens responsables de l'enclave - à commencer par Naser Oric - se réfugient quant à eux dans le silence, cette attitude alimentant de nouvelles rumeurs sur la façon dont ils seraient « tenus » ou « achetés » par le pouvoir. Dans ce contexte, les seules personnalités bosniaques originaires de Srebrenica continuant à mettre publiquement en cause les dirigeants bosniaques de l'époque pour leur rôle dans la chute de l'enclave sont Ibran Mustafic, de plus en plus isolé sur la scène politique, et Hakija Meholjic, devenu entre temps le président de la branche locale du SDP.

En même temps qu'il perd de son assise sociale, le débat sur la question des responsabilités bosniaques prend donc une tournure de plus en plus politique. Un autre indice de cette politisation est le rôle que joue la presse indépendante dans un débat que le Parlement n'a fait qu'effleurer en août 1996, et que la plupart des hommes politiques évitent désormais soigneusement. Ainsi, plusieurs anciens collaborateurs de Ratna tribina continuent d'enquêter sur les circonstances de la chute de Srebrenica en tant que correspondants des hebdomadaires sarajéviens Slobodna Bosna ou Dani (« Les jours »). De même, le numéro spécial de Dani consacré à la chute de Srebrenica en septembre 1998 - soit à la veille de nouvelles élections générales - est réalisé par Esad Hecimovic, journaliste d'investigation ayant travaillé pendant la guerre pour l'hebdomadaire Ljiljan et les organes dirigeants du SDA, mais ayant par la suite rompu avec ce parti 100. De même que la prolifération des rumeurs venait, pendant la guerre, compenser l'absence d'informations fiables et esquisser un semblant d'espace public, la presse indépendante se substitue donc aux institutions légales et aux partis politiques dans l'articulation de ce même espace public. Ce rôle essentiel s'explique aisément dans un pays sortant de cinquante ans de communisme et de trois ans et demi de guerre, et dans lequel les institutions ne fonctionnent pas, les partis nationalistes continuent d'exercer une forte emprise sur leurs territoires respectifs, et la vie politique reste dominée par les clivages communautaires et les rivalités personnelles. Mais la presse elle-même se fait souvent l'écho de rumeurs invérifiables et recourt volontiers aux registres de la trahison et du complot. Obéissant tout à la fois à certains réflexes hérités de la période communiste et aux nouvelles lois de l'économie de marché, elle n'échappe pas aux sirènes de l'invective et du sensationnalisme, et s'avère dès lors largement incapable de favoriser la formulation sereine de certains débats de fond.

Pourtant, bien des thèmes apparaissant de manière récurrente dans la presse de Sarajevo - de l'enrichissement des élites politico-mafieuses à la place de l'islam dans la société d'après-guerre, en passant par les crimes de l'ARBiH ou la présence des mujahiddins - renvoient en fait à une interrogation plus profonde sur les buts de guerre véritables du SDA. La tragédie de Srebrenica ne fait pas exception à cette règle. Dès lors, il n'est pas étonnant que le débat sur les responsabilités bosniaques se soit peu à peu détourné des possibles erreurs tactiques commises à la veille ou au cours de l'offensive serbe, pour se focaliser sur d'hypothétiques choix politiques effectués par les dirigeants bosniaques dans le cadre des négociations de paix. Dès août 1996, en effet, plusieurs anciens officiers de l'enclave affirment dans les colonnes de Slobodna Bosna que

« les représentants de Srebrenica au Bosnjacki sabor [101] tenu à l'automne 1993 ont rapporté à Srebrenica la nouvelle qu'il leur avait été proposé à Sarajevo, de la part des plus hauts représentants du pouvoir, un échange entre le territoire de Srebrenica et certaines parties de Sarajevo. A la suite de cela, la population a été saisie par la panique et par un sentiment de trahison et d'inutilité de tous nos sacrifices, raison pour laquelle il a été très difficile de maintenir le moral des combattants au niveau requis et des les motiver pour de nouvelles actions 102 ».

Cette version des faits est ultérieurement reprise dans ses mémoires par Sefer Halilovic, premier chef d'état-major de l'ARBiH entre mai 1992 et juin 1993 103, et confirmée dans un entretien accordé à Dani en juin 1998 par Hakija Meholjic, un des neuf membres de la délégation ayant participé au Bosnjacki sabor 104. Mais, faute de preuve tangible ou de confirmation par d'autres témoins directs, elle reste invérifiable. En outre, la seule évocation d'un échange territorial entre les enclaves de Bosnie orientale et les quartiers de Sarajevo sous contrôle serbe lors du Bosnjacki sabor de septembre 1993 n'implique pas forcément un abandon de ces mêmes enclaves en juillet 1995, d'autant que l'offensive lancée deux mois plus tôt par l'ARBiH pour rompre le siège de Sarajevo s'était heurtée à une forte résistance serbe et soldée par un échec 105. La focalisation du débat sur la rencontre entre Izetbegovic et la délégation de Srebrenica et Zepa atteste néanmoins du fait que la question des éventuelles responsabilités bosniaques dans la chute de Srebrenica reste liée à celle des buts de guerre des dirigeants du SDA. Le Bosnjacki sabor, organe basé sur un principe de cooptation et représentatif de la seule nation bosniaque 106, se substitue en effet au Parlement élu en 1990 pour décider de l'adoption ou du rejet du plan « Owen-Stoltenberg », et officialise l'accès de la nation bosniaque à la souveraineté politique en abandonnant le nom de « Musulmans » pour celui de « Bosniaques ». En outre, la première session du Bosnjacki sabor, le 27 septembre 1993, reste le moment où les dirigeants du SDA manifestent le plus clairement leur tentation d'accepter un partage de la Bosnie-Herzégovine en vue de créer un Etat national bosniaque 107. Mais, force est de constater que ce débat sur les buts de guerre du SDA n'a pas eu lieu et que, pour l'heure, le débat sur les éventuelles responsabilités bosniaques dans la chute de Srebrenica n'a servi qu'à alimenter les thèses n&eac ute;gationnistes des uns et les querelles personnelles des autres.

Les nationalistes serbes et leurs thuriféraires, en effet, n'ont pas manqué de s'appuyer sur les accusations d'Ibran Mustafic, de Sefer Halilovic ou de Hakija Meholjic pour nier la réalité du massacre, le présenter comme un simple acte de revanche, ou y voir le résultat d'un complot anti-serbe. Ces accusations se retrouvent donc sur de nombreux sites négationnistes, et ont été utilisés par Slobodan Milosevic au cours de son procès. Une telle instrumentalisation crapuleuse du débat sur la question des responsabilités bosniaques a, à son tour, contribué à son épuisement progressif. D'une part, elle a contribué à donner au débat un ton encore plus agressif et personnel, comme l'atteste la polémique opposant en juillet 2003 Sefer Halilovic à Alija Izetbegovic 108. D'autre part, elle explique sans doute pourquoi certains protagonistes des événements de juillet 1995 ont choisi de garder le silence, ceux-ci ne souhaitant pas apporter de l'eau au moulin des nationalistes serbes alors que se tiennent à La Haye plusieurs procès liés directement ou indirectement au massacre de Srebrenica, et que deux de ses principaux responsables, Ratko Mladic et Radovan Karadzic, courent toujours.

 

Notes

1  Magnetofonski snimak 20sjednice Skupstine Republike Bosne i Hercegovine odrzane u Sarajevu dana 1avgusta 1996godine sa pocetkom u 14 sati, version écrite, p20/1L'aspect singulier de la pagination est vraisemblablement dû au fait que le travail de retranscription des bandes magnétiques a été confié à différentes personnes.

2  Dans ce texte, le terme « Bosniaque » (Bosnjak) s'applique aux seuls Musulmans de Bosnie-Herzégovine, et le terme « Bosnien » (Bosanac) à l'ensemble des habitants de la Bosnie-Herzégovine

3  Depuis la signature des accords de Dayton le 14 décembre 1995, la Bosnie-Herzégovine est divisée en deux entités constitutives : la Republika Srpska, entité auto-proclamée en avril 1992 dont l'existence est légalisée par les accords de paix, et la Fédération de Bosnie-Herzégovine, entité créée en mars 1994 par les accords de Washington et communément appelée « Fédération croato-bosniaque ».

4  Entre mars 1994 et septembre 1996 coexistent sur les territoires sous contrôle bosniaque ou croate les institutions de la République de Bosnie-Herzégovine et celles de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, créée en mars 1994 (voir note 3)Le Parlement élu en 1990 siège donc parfois en tant que Parlement de la République de Bosnie-Herzégovine, et parfois en tant que Parlement de la Fédération, auquel cas il ne rassemble que les députés bosniaques et croatesEn septembre 1996, la République de Bosnie-Herzégovine disparaît, et son Parlement est remplacé par un nouveau Parlement que désignent les électeurs des deux entités.

5  Oslobodjenje, 13 juillet 1995, p5.

6  « Ratna tribina » est publié par la municipalité de Zvornik en exil, et suit de près l'activité des unités militaires originaires de la vallée de la Drina.

7  Il s'agit là de l'opération de jonction entre, d'une part, la colonne de militaires et de civils fuyant en direction des territoires sous contrôle bosniaque et, d'autre part, certains éléments de l'Armée de la République de Bosnie-Herzégovine (ARBiH) tentant de percer les lignes serbes dans les environs de ZvornikNaser Oric participe à cette tentative avec un certain nombre de volontairesLa jonction avec les éléments avancés de la colonne - essentiellement des militaires - a lieu sur la ligne de front le 16 juillet 1995, mais plusieurs milliers de personnes fuyant dans cette colonne sont capturés par les forces serbes et exécutés.

8  « Naser Oric, ekskluzivno : narod ce reci ko je izdao Srebrenicu », Ratna tribina, n° 36, 31 juillet 1995, p7.

9  Entretien avec l'auteur, Tuzla, 3 octobre 2006Sur cette réunion, voir également Hasan Hadzic, « Bili, ne vratili se », Dani, n° 78, 22 juin 1998, accessible sur http://www.bhdani.com

10  Selon la Constitution en vigueur jusqu'à la signature des accords de Dayton en décembre 1995, la Présidence de la République de Bosnie-Herzégovine compte sept membres, dont deux représentants de chaque nation constitutive de la Bosnie-Herzégovine (Musulmans/Bosniaques, Serbes et Croates) et un représentant des autres nations yougoslaves et minorités nationales présentes en Bosnie-HerzégovineA partir de 1993, toutefois, le « Yougoslave » Ejup Ganic (SDA) se déclare « Bosniaque » et est élu Vice-président de la Présidence collégiale, fonction n'existant pas dans la Constitution.

11  Oslobodjenje, 13 juillet 1995, p3.

12  Oslobodjenje, 20 juillet 1995, p6.

13  Conférence de presse de l'Union des sociaux-démocrates bosniens (UBSD, qui gère la mairie de Tuzla en association avec le SDP), citée dans F.S., « Utvrditi odgovornost za pad Srebrenice », Front slobode, n° 3337, 28 juillet 1995, p10

14  Propos de Gradimir Gojer (SDP) rapportés dans Oslobodjenje, 14 juillet 1995, p10.

15  Propos de Ljubomir Berberovic (Conseil citoyen serbe) rapportés dans ibid.

16  Ces amendements constitutionnels visent à transférer au Parlement le pouvoir de désigner le Président de la Présidence collégiale bosnienne, ainsi que le remplaçant d'un de ses membres en cas d'incapacité temporaire ou définitive, toutes compétences revenant auparavant à la Présidence collégiale elle-mêmeL'opposition proteste contre ces amendements qu'elle considère comme une violation des principes consociatifs sur lesquels reposent les institutions bosniennesDu reste, Izetbegovic lui-même admet que cette réforme constitutionnelle a pour finalité d'assurer que le Président de la Présidence collégiale soit Bosniaque et membre du SDA (voir Hecimovic E., Kako su prodali Srebrenicu i sacuvali vlast, Sarajevo, Dani, 1998, p16)

17  Le 3 août, lors d'une nouvelle réunion du groupe parlementaire SDA, le député Ekrem Ajanovic s'indigne que « la dernière fois, le 11 juillet, nous avons reçu dans cette salle l'information selon laquelle pouvait se défendre et avait suffisamment d'armes, et quand nous sommes ressortis de la salle nos chauffeurs nous ont dit que Srebrenica était tombée » (cité dans ibid., p62).

18  Propos de Ismet Grbo lors de la conférence de presse organisée par le SDA le 20 juillet à Tuzla, rapportés dans Oslobodjenje, 21 juillet 1995, p6

19  Propos d'Izetbegovic à la télévision bosnienne, rapportés dans Oslobodjenje, 19 juillet 1995, p. 3C'est dans ce même contexte qu'il faut resituer l'annonce, au début du mois d'août, du passage en revue de la 28e division - en fait, quelques milliers de combattants sur les 12 000 hommes en âge de combattre que comptait l'enclave de Srebrenica avant sa chute -, annonce sur laquelle s'appuieront par la suite les nationalistes serbes pour nier la réalité du massacre.

20  Oslobodjenje, 6 août 1995.

21  Cité dans Hecimovic E., Kako su prodali Srebrenicu..., op.cit., p63Sur la mise en place de réseaux de pouvoir parallèles pendant la guerre, voir également Bougarel X., Bosnie : anatomie d'un conflit, Paris, La Découverte, 1996 ; Hoare M., How Bosnia Armed, London, Saqi Books, 2004.

22  Hecimovic E., Kako su prodali Srebrenicu..., op.cit., p62 et p66.

23  Ibid.

24  Ibid., p66 et p67.

25  Voir Ratna tribina, n° 36, 31 juillet 1995.

26  Mehmed Pargan, « Srebrenica se branila sama a izgubili smo je svi », Ratna tribina, n° 36, 31 juillet 1995, pp4-5.

27  Hasan Hadzic, « Da li su, pored teritorije, morali biti zrtvovani narod i vojska ? », Ratna tribina, n° 36, 31 juillet 1995, pp6-7Cet article est en fait un texte que Hasan Hadzic n'a pas pu lire à la tribune du Parlement du canton de Tuzla au nom de l'Alliance de la vallée de la Drina bosnienne (Savez bosanskog Podrinja), regroupant les municipalités en exil et les associations de réfugiés originaires de cette région.

28  Sead Numanovic, « Krivi su generali », Ratna tribina, n° 36, 31 juillet 1995, p3.

29  Commentant les interventions télévisées d'Izetbegovic et de Silajdzic au lendemain de la signature des accords de paix, Ratna tribina note que, « ce soir là, le Président n'a pas mentionné une seule fois la vallée de la Drina, Zvornik et le resteComme si les dites localités avaient depuis toujours appartenu à une sorte de canton de Sumadija [région de Serbie centrale - NdT]Depuis toujours, non, mais depuis longtemps, oui - a confirmé ce soir-là le Premier ministre SilajdzicDe l'intervention de Silajdzic ressortait que l'accord sur Zvornik et les villes voisines de la vallée de la Drina s'était fait il y a deux ans déjà » ; (« Kapara za Milosevica », Ratna tribina, n° 38, janvier 1996, p3).

30  L'Aktiv zena (« actif des femmes ») est une structure héritée de la période socialiste, et ayant joué dans l'enclave un rôle proche de celui de la défense civileL'Aktiv zena a également participé au blocage du convoi du général Philippe Morillon lors de la première offensive serbe en mars 1993.

31  La démission de Silajdzic fait suite à la décision du SDA et du HDZ de constituer deux gouvernements distincts pour la République et la Fédération de Bosnie-Herzégovine, ce qui a pour conséquence, au niveau républicain, de réduire les compétences du gouvernement qu'il dirige, et au niveau fédéral, de faciliter le retour aux pratiques de partage du pouvoir entre partis nationalistes qui prévalaient déjà avant la guerre

32  Les trois autres membres de ce comité représenteraient la République de Bosnie-Herzégovine, la Fédération de Bosnie-Herzégovine et le canton de Tuzla.

33  Oslobodjenje, 11 février 1996, p3.

34  Ibid.

35  Le MBO est un petit parti créé en septembre 1990, suite à une scission interne au SDA

36  Oslobodjenje, 13 février 1996, p3.

37  Ibid.

38  Oslobodjenje, 14 février 1996, p6Les autres points de la résolution prévoient la désignation d'une personne chargée de représenter les populations de la vallée de la Drina auprès des institutions bosniennes, la présence de représentants de la population de Srebrenica au sein de la Commission pour la recherche des personnes disparues, l'envoi sur place d'une délégation de femmes de Srebrenica, la publication par l'inspection des finances d'un rapport sur l'utilisation des fonds collectés pour les réfugiés de Srebrenica, le versement d'une allocation mensuelle de 50 Deutschmark aux enfants scolarisés originaires de la vallée de la Drina et, plus généralement, la prise en charge matérielle des populations déplacées.

39  Parmi les cadres du SDA rejoignant le SBiH figurent plusieurs autres personnes ayant critiqué les autorités de Sarajevo pour leur attitude pendant la crise de l'été 1995, à commencer par Ekrem Ajanovic et Becir Heljic.

40  Ibran Mustafic, « Predsjednistvo i generalstab su zrtvovali Srebrenicu ! », Slobodna Bosna, n° 23, 14 juillet 1996, pp6-10.

41  Alija Izetbegovic, « Kada se dogodi nesto tako stravicno kao sto je Srebrenica, tada nema nevinih », in Godina rata i miraOdabrani govori, intervjui i pisma, Sarajevo, NIPP Ljiljan, 1997, p116.

42  Voir note 10

43  Oslobodjenje, 13 juillet 1996, p3.

44  Cité dans Oslobodjenje, 26 juillet 1996, p3

45  Alosman Husejnovic, « 11 000 neklanjanih dzenaza », Ljiljan, n° 183, 17 juillet 1996, pp12-13.

46  Propos de Sead Avdic (SDP), rapportés dans Oslobodjenje, 18 juillet 1996, p4.

47  Propos de Fikret Jahic (SBiH), rapportés dans Oslobodjenje, 16 juillet 1996, p9.

48  Voir note 7.

49  Entretien avec l'auteur, Tuzla, 12 octobre 2006.

50  Apparemment, le seul responsable politique de Srebrenica présent dans l'hémicycle est Zulfo Salihovic, devenu président de la branche locale du SDA pendant la guerreLe député Ekrem Ajanovic (SBiH) proteste contre cet état de fait et estime que, « pour que nous sachions tout ce qui s'est passé là-bas et comment cela est arrivé, il faudrait qu'assistent à cette session et Naser Oric, et le député Ibran Mustafic, et des représentants de Srebrenica, de la population de Srebrenica, que la population élirait, et que nous puissions ensuite nous demander vraiment, en tant que personnes, si nous avons fait suffisamment d'efforts pour que cette tragédie ne survienne pas. » (Magnetofonski snimak..., op.cit., p20/1).

51  Il faut enfin noter l'absence des députés croates du HDZ, réunis au même moment à Neum, sur la côte adriatiqueCette attitude s'explique entre autres par le fait que, depuis la création de la Fédération en mars 1994, la plupart des députés HDZ ne reconnaissent plus aucune légitimité au Parlement quand il siège en tant que Parlement de la République de Bosnie-Herzégovine (voir note 4).

52  Le ministre des Affaires étrangères, Jadranko Prlic, étant membre du HDZ, il n'assiste pas à cette session du Parlement de la République de Bosnie-Herzégovine.

53  Il est important de savoir que le seul député non bosniaque participant au débat, Igor Rajner, est le président de la communauté juive de TuzlaLe fait qu'il n'appartienne à aucune des trois nations constitutives de Bosnie-Herzégovine lui assure une certaine liberté de parole, et l'extermination des Juifs de Bosnie-Herzégovine au cours de la Seconde Guerre mondiale explique sans doute en partie ses mises en garde sur le fait que « nous devons tirer des enseignements [de la chute de Srebrenica] pour que cela ne nous arrive pas à nouveau » et que «  nous sommes trop peu nombreux pour nous permettre de telles erreurs» (Magnetofonski snimak..., op.cit., p24/1)Il est également intéressant de noter la manière dont l'origine géographique des députés influence leurs prises de positionAinsi, Ekrem Ajanovic (SBiH) est originaire de Tesanj, ville également enclavée pendant plusieurs moisComme il le souligne lui-même, « j'ai passé onze mois dans Tesanj encerclée et je sais quelle situation psychologique cela représente et je sais que parfois, même des suggestions bien intentionnées venant de l'extérieur peuvent faire sur place plus de mal que de bien. (...) Après toutes ces discussions d'aujourd'hui, je peux dire, et la majorité des gens de Tesanj avec moi, Dieu merci nous avons eu à certains moments assez de force et de sagesse pour ne pas écouter les gens de l'extérieur et même pour désobéir à certains de leurs ordres, pour décider nous-mêmes que le G[roupe] O[pérationnel] 7 ne deviendrait pas une zone de sécurité de l'ONU, bien qu'il y ait eu des propositions et des demandes dans ce sens» (ibid., p20/1).

54  Hormis Zulfo Salihovic, président du SDA de Srebrenica, les deux représentants des populations de Bosnie orientale intervenant au cours du débat sont Camil Ahmetovic, maire de Zvornik appartenant au SDA mais très critique envers les autorités de Sarajevo, et Veiz Sabic, conseiller municipal SDA de Bratunac et commandant de brigade ayant passé la guerre dans l'enclave de Srebrenica.

55  Les membres de la commission sont Irfan Ajanovic (député SDA, Doboj), Avdo Campara (député SDA, Sarajevo, secrétaire du Parlement de la République de Bosnie-Herzégovine), Mirsad Djapo (député SDP, Brcko), Rasim Kadic (député du Parti libéral - LS, Sarajevo), Igor Rajner (député UBSD, Tuzla), Veiz Sabic (conseiller municipal SDA, Bratunac) et Pero Vasilj (député HDZ, Tuzla)Suite à une question de Muharem Cero (SBiH) sur un éventuel rapport préparé par cette commission, le président du Parlement Miro Lazovic (SDP) précise que « nous n'avons pas eu de commission parlementaire chargée de préparer [à l'avance] sa position sur ce point de l'ordre du jourIl s'agit ici d'une commission pour les conclusions chargée de suivre la discussion d'aujourd'hui et de proposer une conclusion au ParlementElle n'a pas fini son travail, et il s'agit d'une commission ad hoc pour la seule session d'aujourd'hui. » (Magnetofonski snimak..., op.cit., p10/1).

56  Ibid., p12/2

57  Ibid., exposé de Hasan Dervisbegovic, p1L'exposé de Hasan Dervisbegovic est un document interne du minist&eg rave;re des Affaires étrangères ou de la présidence collégiale, ayant subi quelques corrections mineures et dont le titre original (« Analyse des causes de la chute de Srebrenica et Zepa et du massacre qui a suivi ») a été raturéIl est inséré tel quel dans les retranscriptions du débat parlementaire et conserve donc une pagination à part.

58  Hasan Dervisbegovic déclare ainsi que « nous tous, et pas seulement les zones de sécurité, avons été les victimes de la grande tromperie qui consistait à garder sous contrôle les conséquences politiques et autres de la guerre, mais à ne pas s'opposer de manière résolue à l'agression [serbe]Nous le savions, mais nous n'avions guère la possibilité de le révéler au grand jour ou de tenter de surmonter cette tromperie car, en fin de compte, un de ses résultats a été l'aide humanitaire et la baisse d'intensité des combats qui étaient importantes pour la survie des Bosniens » (ibid., p3)Ces propos rappellent ceux tenus par Alija Izetbegovic le 11 juillet 1995 devant le groupe parlementaire du SDA, après la demande formulée par certains députés d'expulser la FORPRONU de Bosnie-Herzégovine : « Un mot sur la FORPRONU ; personne ne l'aime, mais c'est une sorte de mal nécessaire, il faut que vous le compreniezRegardez SrebrenicaSi nous avions dit 'la FORPRONU dehors', il n'y aurait pas ces bombardementsS'il elle n'était pas là, l'OTAN ne serait pas utiliséeLa FORPRONU est un moyen pour mettre la communauté internationale en mouvementLa FORPRONU nous est nécessaire tant que nous ne pouvons pas faire ce qu'ils fontIls tiennent l'aéroport [de Sarajevo], et par là même ils protègent le tunnel [entre Sarajevo et le mont Igman], ils protègent Srebrenica, Bihac, ils conduisent les convois jusqu'à Gorazde [...] La communauté internationale contrôle également la zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Bosnie-HerzégovineDe cette manière, 20 à 30 avions et hélicoptères sont cloués au solAu-delà des émotions, il faut avoir cela à l'espritEspérons qu'à partir de novembre prochain, nous n'aurons pas besoin de prolonger leur mandat » (cité dans Hecimovic E., Kako su prodali Srebrenicu..., op.cit., p13).

59  En juillet 1995, Yasushi Akashi est le représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU pour l'ex-Yougoslavie, et le général Bernard Janvier est le commandant de la FORPRONU pour l'ex-Yougoslavie (à ne pas confondre avec Rupert Smith, commandant de la FORPRONU pour la Bosnie-Herzégovine).

60 Magnetofonski snimak..., op.cit., p16/1Hasan Muratovic précise qu'« il n'y a pas de preuve qu'un tel accord ait été signé, mais tout suggère que Akashi et Janvier ont accepté cet accord » Dans ce contexte, ajoute-t-il, « se pose une question qui n'est pas élucidéeEst-ce que Akashi et Janvier avaient un accord avec Mladic pour que les gens partent de Srebrenica en direction de Tuzla et qu'il les laisse passer ? Cette question reste à étudierDans la mesure où il a été écrit de nombreuses fois dans la presse occidentale, et que des responsables de l'ONU eux-mêmes ont suggéré qu'il fallait laisser partir tous les gens de Srebrenica qui souhaitaient rejoindre Tuzla pacifiquement et que les Serbes les laisseraient passer, il est très vraisemblable que cette partie de l'accord existaitJ'ai essayé dans mes contacts avec certaines personnes de Srebrenica de savoir si on les avait informés de cette possibilité, et le fait est que l'on a pas tiré sur nos gens quand ils ont franchi les premières lignes entourant SrebrenicaDonc, cela reste à étudier, mais dans cette hypothèse la culpabilité de l'ONU est d'autant plus grande car [cela signifierait qu']elle a assuré toute la mise en scène de cette prise de Srebrenica »A un autre moment de son exposé, toutefois, Muratovic affirme que « nous savions tous ce qui allait se passer si on laissait les Serbes transporter [les habitants de Srebrenica] vers Kladanj ; à ce moment, l'ONU aurait pu contribuer à fournir une protection en attendant que l'ONU organise [elle-même] le transportSi cela avait été fait, il est certain que quelques milliers de personnes en moins auraient été sacrifiées »Enfin, Muratovic rend hommage à l'attitude du général Rupert Smith, commandant de la FORPRONU en Bosnie-Herzégovine, qui « a averti Akashi et Janvier que les Serbes allaient sûrement attaquer les trois enclaves [de Srebrenica, Zepa et Gorazde], qu'ils allaient les prendre si elles ne recevaient pas de soutien aérien, et que s'en suivrait une grave tragédieIl a dit que c'était une décision ferme de Mladic dont il avait connaissance par le biais de ses services secrets [britanniques] », (ibid., p16/1 à 18/1).

61 Ibid., exposé de Hasan Dervisbegovic, p1.

62  Rasim Delic précise que les livraisons d'armes à l'enclave de Srebrenica ont commencé en avril 1994, après que l'arrêt des affrontements croato-bosniaques ait permis une reprise des approvisionnements en armes, et que l'offensive serbe sur Gorazde ait démontré que la communauté internationale n'était pas prête à défendre les zones de sécurité avec la détermination nécessaireDétaillant ensuite les quantités d'armes acheminées dans l'enclave de Srebrenica, il estime que « Gorazde n'a pas reçu la moitié de ces moyens [militaires] au cours de la même période, et [que] Sarajevo s'est défendue avec nettement moins de moyens en 1992 et 1993 », (ibid., p11/2)Cette évaluation contredit celles de Naser Oric, qui considère que la faiblesse des livraisons d'armes a contribué à la propagation d'un esprit défaitiste au sein de l'enclave (Oslobodjenje, 26 août 1996, p11).

63  Parmi ces dysfonctionnements, Delic mentionne « une lutte déloyale pour le pouvoir et des divisions [politiques] sur cette base ; de mauvaises relations entre la police et la Défense territoriale, puis l'armée ; des assassinats d'opposants ou de compétiteurs politiques, ou des attentats contre eux ; l'utilisation de la guerre à des fins d'enrichissement personnel et des activités criminelles ; une mauvaise organisation des forces armées de la Défense territoriale puis de l'armée, et une lutte pour les postes de commandement », (Magnetofonski snimak...,, op.cit., p11/2).

64  A propos de la faible résistance des forces bosniaques, Delic déclare que « nous nous attendions à un niveau plus élevé de résistance, ce qui aurait permis de regrouper des forces de l'extérieur en direction de Srebrenica [...]Nous étions en contact permanent avec Srebrenica [jusqu'au 10 juillet] mais ils n'ont pas écouté nos suggestions et nos ordres, ils n'ont pas agi conformément aux plans prévus grâce auxquels Srebrenica n'aurait peut-être pas été conservée, mais la population se serait échappéeQue dire de la résistance, quand pas un seul blindé [serbe] n'a été détruit malgré de telles quantités d'armements anti-charA un moment, trois blindés se sont dirigés de Zeleni Jadar vers la ville, et si un seul avait été détruit, les tchetniks ne seraient pas entrés dans la ville, mais aucun n'a été détruit », (ibid., p12/1).

65 Ibid., p12/1.

66  Dzevad Mlaco (SDA), ibid., p19/2.

67  De ce point de vue, les interrogations de Dzevad Mlaco (SDA) et Igor Rajner (UBSD) sur la nature du massacre jouent un rôle charnièreDzevad Mlaco souligne en effet que « nous avons eu des cas où des villes ont été conquises par l'agresseur, mais les crimes contre la population n'ont pas été perpétrés dans une mesure comparable, même de loin, à [ce qui s'est passé] Srebrenica et Zepa », et en conclut que « cela est vraiment complètement calculé, créé de toutes pièces avec le soutien de la communauté internationale qui n'a rien fait pour protéger non pas la zone, mais la population civile », (ibid., pp19/2 et 20/1)Igor Rajner est plus hésitant sur le caractère unique du massacre, ne sachant s'il s'agit là de « la plus grande défaite » bosnienne ou d'une défaite « similaire à celle d'avril et mai 1992, quand la population bosnienne a subi des pertes terribles »Surtout, il s'appuie sur les propos de Mlaco pour soulever des questions d'une autre nature : « Ce monsieur de Bugojno a très bien remarqué une chose. [Les Serbes] ont occupé et conquis d'autres villes, mais avec beaucoup moins de sangQuelle est cette chose qui les a autant endurcis ? Et elle les a bel et bien endurcisCar regardez, ils ont laissé passer les femmes et les enfants, ils ont laissé passer les personnes les plus âgées, mais ils ont tué sans pitié les soldatsSans pitiéPourquoi ? Qu'est-ce que cela signifie ? Je le répète, ce n'est peut-être pas une question pour cet endroit et pour l'opinion publique, mais c'est une question dont nous devons tirer des leçons », (ibid., p23/2) Enfin, Mevludin Sejmenovic, député SDA de Prijedor, ville de Bosnie occidentale où plusieurs milliers de civils bosniaques ont été tués au début de la guerre, s'oppose à cette présentation du massacre de Srebrenica comme un cas unique, et demande que le Parlement consacre aussi une séance au cas de la Bosnie occidentale (ibid., pp. 25/2 et 26/1).

68  Dzevad Mlaco (SDA), Magnetofonski snimak..., op.cit., p19/2Il n'est pas toujours évident de savoir si les députés se réfèrent au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) ou à la Cour internationale de justice (CIJ), également basés à La Haye, et certains députés semblent du reste confondre ces deux institutions.

69  Magnetofonski snimak..., op.cit., pp22/2 et 23/1.

70  Ibid., pp23/2

71  De manière générale, les représentants de la population de Bosnie orientale estiment qu'une résistance plus longue n'aurait rien changé au destin final de l'enclave et de sa population, et que l'application des plans d'évacuation préparés par l'état-major aurait conduit à une catastrophe encore plus grandePar contre, les députés de l'opposition partagent avec ceux du SDA un certain nombre de doutes sur la conduite des autorités civiles et militaires de l'enclaveAinsi, Igor Rajner déclare que « nous tous qui avons passé toute la guerre à proximité de Srebrenica savions qu'il y avait des problèmes » (ibid., p24/1), et rejette l'idée qu'une résistance plus longue n'aurait rien changé au destin final de l'enclave: « J'accepte sans aucune réserve [l'idée de] la responsabilité de la communauté internationale qui est si puissante qu'elle aurait pu faire beaucoup plus et qui, si Srebrenica s'était encore défendue trois jours, aurait peut-être sauvé la population de SrebrenicaVous savez combien de temps il leur faut pour réagir, mais quand ils réagissent, alors cela réussitCela signifie automatiquement que je n'accepte pas l'idée que la résistance était inutile »,(ibid., p23/2).

72  Irfan Ajanovic (SDA), ibid., p23/2.

73  Ibid., pp29/1 et 29/2.

74  Ce vote est suivi de l'adoption à l'unanimité, et sans discussion préalable, du rapport d'activité présenté par Jasmin Odobasic, vice-président de la Commission pour la recherche des personnes disparuesLe même jour, le président de cette commission, Amor Masovic tente vainement de franchir la ligne de séparation inter-entités pour se rendre à Srebrenica, malgré l'autorisation qu'il aurait reçu la veille des autorités de la Republika Srpska

75  L'Institut de recherche sur les crimes contre l'humanité et le droit international a publié entre 1998 et 2000 trois recueils consacrés au massacre de Srebrenica, et comportant les actes d'un colloque international organisé en juillet 1997, les actes d'inculpation de Radovan Karadzic, Ratko Mladic, Radislav Krstic et Drazen Erdemovic par le TPIY, une traduction commentée du rapport de l'ONU sur la chute de Srebrenica, ainsi que divers documents et témoignages, mais n'abordant pas la question des responsabilités bosniaques   

76  Ainsi, lors du débat parlementaire du 1er août 1996, le député Safet Isovic (SDA) s'étonne de « l'inertie de nos institutions dans la dénonciation et la publication des noms [des criminels de guerre] et dans le transfert à La Haye de la documentation sur les crimes de guerreIl s'avèrera à la fin que seuls sont coupables Mladic, Karadzic et Dusan Tadic [sic ! En fait, Safet Isovic pense probablement à Drazen Erdemovic -NdT], et qu'ils ont tué à eux seuls autant de gensJe prie cette commission parlementaire et je prie ce Parlement comme organe suprême du pouvoir d'ordonner à cette commission ou au gouvernement et, à travers lui, à toutes les institutions qui sont chargées de collecter des informations sur les crimes de guerre, d'envoyer le plus rapidement, le plus efficacement et le plus exhaustivement possible des preuves sur le nombre énorme de gens qui ont pris part aux crimes de guerre en Bosnie-Herzégovine », (Magnetofonski snimak..., op.cit., p28/2) 

77  Mehmed Pargan, « Srebrenica se branila sama... », opcit.

78  Muharem Cero (SBiH), Magnetofonski snimak..., opcit., p26/2.

79  Propos de Alija Behmen (SDP) rapportés dans Oslobodjenje, 14 juillet 1995, p10.

80  Hasan Hadzic, « Da li su pored teritorije morali biti zrtvovani narod i vojska ? », opcit.

81  Oslobodjenje, 16 juillet 1995, p5.

82  BSkokovic-Tomic, « Parlamentarne stranke Tuzle i pad Srebrenice : ne dozvoliti anarhiju », Front slobode, n° 3337, 28 juillet 1995, p2.

83  Sur le rôle du Parlement pendant la guerre, voir par exemple Senad Slatina, « Da li je Skupstina vlast ili alibi za vlast ? », Slobodna Bosna, n° 9, 29 décembre 1995, pp10-11

84 Magnetofonski snimak..., op.cit., p21/1.

85  Ibid., p23/2

86 Ibid., p21/1.

87 Ibid., pp24/2 et 24/3.

88 Ibid., p25/2.

89 Ibid., p23/2.

90 Ibid., p19/1.

91  Alija Izetbegovic, « Kada se dogodi nesto tako stravicno kao sto je Srebrenica, tada nema nevinih », opcit., p116La culpabilité métaphysique dont parle Izetbegovic dans son discours du 11 juillet 1996 rappelle celle évoquée en 1946 par Karl Jaspers, pour qui « chacun se trouve co-responsable de toute injustice et de tout mal commis dans le monde » et le simple fait « que je vive encore, après que de telles choses se sont passées, pèse sur moi comme une culpabilité inexpiable » (Karl Jaspers, La culpabilité allemande, Paris ? Editions de Minuit, 1990, p47)Il est du reste probable que ce discours d'Izetbegovic soit inspiré par ses lectures philosophiques des années 1980, parmi lesquelles figurent Jaspers et d'autres philosophes chrétiens (voir en particulier Alija Izetbegovic, Moj bijeg u sloboduBiljeske iz zatvora 1983-1988, Sarajevo : Svjetlost, 1999).

92  C'est dans ce contexte également qu'il faut resituer la capacité d'Izetbegovic de prévenir tout acte de vengeance contre la population serbe de SarajevoMiro Lazovic, président du Parlement, raconte en effet dans un entretien accordé à Radio Free Europe qu'en juillet 1995, « nous avons reçu un lettre de menace d'un groupe de gens de Zepa et de Srebrenica qui vivaient alors à Sarajevo, disant que la population serbe de Sarajevo souffrirait si Zepa ou Srebrenica tombaitMirko Pejanovic [membre serbe de la Présidence collégiale] et moi-même avons reçu cette lettre et, inquiets pour la situation de Srebrenica et de Zepa comme pour ce qui pouvait se passer à Sarajevo, nous avons rencontré Izetbegovic et l'avons informé du contenu de cette lettre, et je dois dire que lors de notre rencontre avec les représentants de Zepa et de Srebrenica, il a clairement dit qu'il ne devait pas manquer un seul cheveu à un Serbe ou à un Croate de SarajevoIl a vraiment été assez ferme sur ce point et je dois dire qu'après cela, la colère manifestée par ce groupe s'est apaisée » ? (« Miro Lazovic : utopisti i buhe », in Svjedoci raspada, Prague ? RFE/RL, accessible sur http://www.slobodnaevropa.org).

93  Lors des élections générales de septembre 1996, le SDA recueille au niveau national 37,9 % des voix (30,4 % en 1990), le SDP 5,7 % des voix (11,9 % en 1990), et le SBiH 3,9 % des voixA Srebrenica, lors des élections municipales de septembre 1997, la coalition formée par le SDA et le SBiH recueille 48,9 % des voix (63,8 % pour le SDA en 1990), contre 3,7 % pour Ibran Mustafic et 0,8 % pour le SDP (16,4 % en 1990), ces importantes variations reflétant aussi les transformations de la composition de l'électorat dans cette municipalitéLors des élections municipales d'octobre 2004, le SDA recueille 48,6 % des voix, contre 7,2 % pour le SDP, 5,9 % pour le SBiH et 0,6 % pour Ibran Mustafic.

94  Oslobodjenje, 7 août 1996, p7.

95  Nedzad Latic, « Svjedoci tvrde da ljudi Nasera Orica stoje iza 19 atentata u Srebrenici », Ljiljan, n° 186, 7 août 1996, pp18-22.

96  « Zlatni ljiljani brane istinu i Nasera Orica », Slobodna Bosna, n° 26, 25 août 1996, pp37-38.

97  « Ispovijest Nasera Orica », Osolobodjenje, du 24/25 au 29 août 1995Ces « confessions » sont en fait la retranscription d'une conversation enregistrée peu après la chute de l'enclave entre Naser Oric, Sefer Halilovic, premier chef d'état-major de l'ARBiH, et Rusmir Mahmutcehajic, ancien ministre de l'Armement ayant rompu avec le SDA pendant la guerreOslobodjenje présente ce document comme une troisième version des événements de Srebrenica, après celles présentées par Ibran Mustafic dans Slobodna Bosna et par Rasim Delic devant le Parlement, mais ne précise pas si sa publication s'est faite avec l'accord du principal intéressé.

98  Voir par exemple Pollack C.E., « Intentions of Burial: Mourning, Politics, and Memorials following the Massacre at Srebrenica », Death Studies, n° 27/2, février 2003, pp125-142 ; Delpla I., « Incertitudes publiques et privées sur les disparus en Bosnie-Herzégovine », in Le Pape M., Siméant J., Vidal C(dir.), Crises extrêmesFace aux massacres, aux guerres civiles et aux génocides, Paris, La Découverte, 2006, pp287-301.

99  Voir par exemple Delpla I., « In the Midst of Injustice: The ICTY from the Perspective of some Victim Associations », in Bougarel X., Helms E., Duijzings G(eds.), The New Bosnian MosaicIdentities, Memories and Moral Claims in a Post-War Country, Aldershot, Ashgate, 2007, pp211-234.

100  Hecimovic E., Kako su prodali Srebrenicu..., op.cit. Dans ce dossier très documenté, Esad Hecimovic reconstitue minutieusement l'attitude des dirigeants du SDA pendant la crise de l'été 1995, puis utilise cette dernière pour mettre à jour les pratiques informelles grâce auxquelles le SDA a établi son hégémonie dans les territoires sous contrôle bosniaque.

101  Le Bosnjacki sabor (Assemblée bosniaque) rassemble les principaux représentants politiques, intellectuels, religieux et militaires de la nation bosniaqueSa première session, le 27 septembre 1993, est principalement consacrée à l'examen du plan de paix « Owen-Stoltenberg », et sa deuxième session, le 18 juillet 1994, à l'examen du plan de paix du « Groupe de contact ».

102  « Zlatni ljiljani brane istinu i Nasera Orica », op.cit., p38.

103  Sefer Halilovic, Lukava strategija, op.cit., p109.

104  Dans cet entretien, Meholjic affirme que « le président Izetbegovic nous a reçu et, immédiatement après nous avoir salués, a demandé : "Que pensez-vous d'un échange entre Srebrenica et Vogosca ?" Il y a eu un silence, puis j'ai demandé la parole et j'ai dit : "Président, si vous nous avez appelés pour nous mettre devant le fait accompli, alors ce n'était pas la peine de le faire, car il convient de vous présenter devant la population et de porter le poids de cette décision à notre sujet." » (Hasan Hadzic, « Bili, ne vratili se », opcit.).

105  Pour une discussion critique des différentes théories du complot entourant la chute de Srebrenica, y compris celles mettant en cause les autorités bosniaques, voir entre autres Rohde D., EndgameThe Betrayal and Fall of Srebrenica, Europe's Worst Massacre since World War II, Boulder, CO, Westview Press, 1997.

106  Voir note 101.

107  Sur le projet national des dirigeants du SDA, voir entre autres Bougarel X., « L'islam bosniaque, entre identité culturelle et idéologie politique », in Bougarel X., Clayer N(dir.), Le Nouvel Islam balkaniqueLes musulmans, acteurs du post-communisme (1990-2000), Paris, Maisonneuve & Larose, 2001, pp79-132.

108  Début juillet, en effet, Izetbegovic accuse Halilovic d'avoir tenu devant le TPIY des propos à partir desquels Milosevic a pu développer sa propre version des événementsQuelques jours plus tard, Halilovic contre-attaque en estimant que « Milosevic a, malheureusement, assez de matériel pour constater la "trahison" de Srebrenica, à partir des nombreuses déclarations publiques des protagonistes des évènements et des accords secrets que tu as toi-même signés. » (Oslobodjenje, 11 juillet 2003, p8)Le lendemain, Izetbegovic estime que « une de mes grossières erreurs a été de nommer Halilovic chef de l'état-major », puis laisse chaque lecteur libre « de croire Milosevic et Halilovic ou de me croire » (Oslobodjenje, 12 juillet 2003, p3)Halilovic surenchérit alors à nouveau en déclarant que sa propre erreur a été de négocier la libération d'Izetbegovic en mai 1992, lorsque celui-ci était retenu prisonnier par l'armée yougoslaveHuit ans après le massacre de Srebrenica, et quatre mois avant la mort d'Izetbegovic, le débat sur la question des responsabilités bosniaques se trouve ainsi réduit à un affligeant règlement de comptes personnels.

Secondary Resources: