Columbia International Affairs Online: Journals

CIAO DATE: 11/2008

Editorial. To Arrest and Judge in Europe.

Cultures & Conflits

A publication of:
Cultures & Conflits

Volume: 62, Issue: 0 (Summer 2006)


Antoine Megie

Abstract

Full Text

L'histoire, l'actualité et les dynamiques de la coopération judiciaire sont des enjeux forts pour l'Europe. Elément fondamental du champ de la sécurité, notamment en terme de légitimation du pouvoir de police, l'européanisation du domaine judiciaire renvoie aux questions existantes entre les problématiques européennes et les interrogations sur la gouvernementalité transnationale de la sécurité. Or, la coopération judiciaire en Europe est par trop souvent présentée de manière exclusivement institutionnelle et en dehors d'une analyse des processus d'européanisation que la sociologie de l'Europe nous offre à voir. Aussi, dans la ligne des précédents numéros de la revue dédiés à cette connaissance 1, ce nouveau numéro de Cultures & Conflits est une invitation à une lecture de la production des normes pénales de l'Union européenne via la déconstruction du processus de fabrication des différents dispositifs d'arrestation et de reconnaissance des jugements adoptés depuis le Conseil européen de Tampere de 1999. Retraçant ainsi la généalogie de la coopération pénale européenne, à travers l'interrogation des mécanismes à l'œuvre, qu'ils soient politiques, cognitifs ou sociaux, ce numéro offre des moyens pour comprendre la façon dont le pouvoir d'arrêter et de punir a pu trouver, depuis le début des années 1990, une réalisation dans la dimension européenne 2.

Dans un premier article, Antoine Mégie expose les pistes d'études qui permettent de comprendre les caractéristiques et les conséquences de la mise en place de l'entraide judiciaire européenne. La compréhension du processus qui sous-tend cet avènement conduit à choisir un cadre méthodologique volontairement exploratoire, afin de ne pas se contenter d'une histoire normative de la construction européenne. Saisir ces dynamiques qui traversent l'objet du droit pénal revient, dans un premier temps, à travailler sur les nouveaux dispositifs mis en œuvre afin de faciliter une plus grande coopération entre les différentes autorités judiciaires nationales au niveau de l'arrestation et/ou de la reconnaissance des jugements. L'unité de coopération Eurojust et la nouvelle procédure d'extradition entre les Etats membres - le mandat d'arrêt européen -  constituent les deux principaux instruments adoptés et mis en place depuis les conclusions du sommet de Tampere. Michel Mangenot revient ainsi sur la création de l'unité Eurojust à travers une analyse des acteurs à l'origine de l'adoption de ce dispositif de coopération multilatérale. En abordant de façon concrète les différents jeux institutionnels qui ont sous-tendu ce projet, l'auteur met en lumière la place essentielle qu'occupent le Conseil européen et les Etats membres dans le 3e pilier intergouvernemental de l'Union, « justice, liberté et sécurité ». S'intéressant à une autre phase du processus de création d'un dispositif d'entraide pénale, Maik Martin interroge la mise en œuvre du mandat d'arrêt européen à partir des premiers arrêts rendus par les Cours anglaises, irlandaises et par la Cour constitutionnelle allemande.

Comprendre les phases de transformations qui structurent le phénomène d'européanisation du pouvoir judiciaire nécessite, par ailleurs, d'appréhender les problématiques classiques de mobilisations et de constructions d'identités collectives à travers la prise en compte des logiques de compétitions et de résistances au sein du champ de la coopération pénale européenne. Dans cette perspective, il s'agit de saisir à la fois les configurations globales du jeu institutionnel, mais aussi les parcours, les mécanismes d'adhésion et de socialisation des acteurs dont les stratégies ont un impact direct sur la forme que revêt la coopération judiciaire européenne. Dans cette perspective, Natacha Paris s'intéresse à l'investissement et au rôle joué par certains magistrats ou opérateurs issus du Parlement européen et de la Commission dans le cadre restreint du 3e pilier intergouvernemental de l'Union. Pour répondre à cette question, l'auteur part de l'examen de la construction d'une mobilisation de magistrats européens : l'appel de Genève, lancé le 1er octobre 1996 pour dénoncer les méfaits de la « criminalité organisée » et en appeler à la mise en place d'un « véritable espace judiciaire européen ». L'article de Véronique Pujas sur l'unité OLAF (Office de lutte anti-fraude) conduit, dans une logique similaire, à montrer la façon dont la lutte contre les fraudes aux subventions communautaires a été utilisée comme une ressource, par les instances communautaires (Commission, Directions générales diverses) et par certains agents du champ de la coopération pénale européenne (magistrats, universitaires, fonctionnaires nationaux), dans leur quête de légitimité et d'accès à de nouvelles compétences. Enfin, travailler sur les configurations des acteurs permet de saisir la dimension dynamique des représentations, ainsi que des processus de spécialisation de certains agents qui, pour des raisons professionnelles et sociales, deviennent de véritables entrepreneurs de la coopération judiciaire à l'échelle européenne. La contribution d'Amandine Scherrer, consacrée aux différents groupes qui, au sein du G8 et de l'Union européenne, s'inscrivent dans des dynamiques intersectorielles de lutte contre le blanchiment de l'argent, interroge directement les effets de ces processus de labellisation institutionnel et professionnel. L'analyse sociologique des principaux acteurs du G7/8 fournit alors un cadre d'étude essentiel à la compréhension des discours et des normes institués au sein du régime global anti-blanchiment, notamment via la question de la circulation de ces normes entre les enceintes internationales et européennes.

L'étude de l'européanisation du domaine pénal à travers la compréhension de ses principales étapes et des logiques constitutives du champ de la coopération pénale européenne conduit très certainement à introduire la question de la normativité dans les débats. Jacqueline Domenach s'intéresse ainsi dans son article aux mutations au sein de l'espace pénal susceptibles d'ouvrir vers un nouveau modèle juridique de l'exercice du pouvoir judiciaire et dont l'identification annonce des éléments de rupture par rapport aux conceptions traditionnelles. A travers l'incertitude et la complexité des solutions relatives à l'émergence d'une politique de sécurité à l'échelle européenne, l'auteur démontre la façon dont les ambiguïtés juridiques et institutionnelles ont des répercussions sur la normativité de l'action pénale européenne, en particulier concernant la protection des droits et libertés des justiciables.

Dès lors, contrairement à l'image d'une formalisation et d'une harmonisation progressive d'un « espace pénal européen », le pouvoir judiciaire actuel, pris entre logique nationale et intervention communautaire, se structure autour d'une base légale incertaine. Le degré substantiel de confidentialité dans les négociations et les accords entre les ministères, l'absence de contrôle par les parlements supranationaux et par conséquent nationaux, et le peu de contraintes judiciaires concernant les accords atteints, y compris vis-à-vis des individus et de parties tierces, conduit à faire du système pénal européen en construction un ensemble juridique instable dans lequel les considérations opérationnelles ont souvent la priorité par rapport aux règles de droit et procédures démocratiques. La balance de la justice pénale à l'échelle européenne semble ainsi ne pas avoir encore atteint une situation d'équilibre pourtant essentielle à la formation d'un véritable espace de « justice, liberté et sécurité »


Notes

1Lequesne C., Smith A(dirs.) Cultures & Conflits, « Interpréter l'Europe : éléments pour une relance théorique », Paris, l'Harmattan, n°28, hiver 1997 ; Guiraudon V(dir.) Cultures & Conflits, « Sociologie de l'Europe », Paris, l'Harmattan, n°38-39, été/automne 2000

2Bigo D., Guild E(dirs.) « De Tampere à Séville : bilan de la sécurité européenne », Cultures & Conflits, n°45-46, Paris, l'Harmattan, printemps 2002.