Columbia International Affairs Online: Journals

CIAO DATE: 11/2008

Editorial

Cultures & Conflits

A publication of:
Cultures & Conflits

Volume: 60, Issue: 0 (Winter 2005)


Estelle Durand
Miriam Perier

Abstract

Full Text

Les politiques d'exception et de suspicion ne couvrent pas, loin s'en faut, les logiques du champ des professionnels de la sécurité. La question de l'action humanitaire, celle des raisons qui poussent les ONG et les gouvernements à agir selon ces normes en est un autre volet central. Cultures & Conflits avait abordé, il y a plusieurs années, la question des relations entre interventions armées et causes humanitaires1, et avait poursuivi la réflexion sur les transformations du métier militaire, le rapport à l'humanitaire avec le choix d'une voie militaire après le 11 septembre. Mais, comme beaucoup d'autres revues de sciences sociales françaises, nous avions évoqué les pratiques des acteurs de l'humanitaire sans discuter en profondeur les relations entre l'humanitaire et les droits de l'Homme. Avec ce numéro de Wolf-Dieter Eberwein et de son équipe, qui développe une problématique centrale dans toute la science politique allemande et qui est souvent ignorée en France, nous voulons attirer l'attention sur cet enjeu central pour le futur, enjeu qui permet aussi de se mettre à distance des discours (des)enchantés des acteurs de l'humanitaire, dont la multiplicité des prises de parole sur le domaine au nom d'une expertise propre masque l'étroitesse de l'approche. Certes, il n'est pas dans les habitudes de Cultures & Conflits de publier des articles à fort contenu juridique, mais il nous est apparu central de faire le point sur l'histoire, les dynamiques, les normes et les pratiques du droit international humanitaire (DIH). Désormais, une analyse des évolutions doctrinales du DIH ne peut plus être raisonnablement écartée, même si cela suppose une expertise que peu d'entre nous possèdent, parce qu'elle témoigne d'une évolution majeure des conflits contemporains : la judiciarisation de la violence en acte et en conséquence. De plus, il nous paraît crucial de soumettre à l'analyse scrupuleuse l'enchevêtrement de cette montée en puissance du droit dans les pratiques et les dynamiques du champ d'action politique humanitaire proprement dit. Quand les dispositions juridiques insérées dans les protocoles relatifs au droit humanitaire revêtent désormais un caractère coutumier ; quand la rhétorique même de « l'humanitaire » joue un rôle important dans la constitution des normes internationales et que les Etats peuvent de moins en moins se soustraire à leurs obligations de respect et de garantie des droits fondamentaux, surtout en temps de conflits, qu'en est-il de l'exercice juridique par trop souvent pensé comme simple pratique de neutralisation ? La place de l'humanitaire, des pratiques et des usages politiques qui en dérivent est un débat important dans lequel le droit international a toute sa place comme objet et sujet d'expertise. La compréhension de la genèse, des modalités et des logiques à long terme, de la formalisation des processus de régulation des conflits, où le respect des principes juridiques de proportion et de circonstance est majeur, est un débat d'avenir à court et moyen terme. C'est un débat qui est, d'ores et déjà, d'actualité vis-à-vis de l'intervention américaine en Irak. 

Notes

1. « Interventions armées et causes humanitaires », Cultures & Conflits n°11, automne 1993, Paris, L'Harmattan, 1993.