CIAO DATE: 08/2008
Volume: 19, Issue: 2
Summer 2001
La présidence française du Conseil de l'Union européenne
Michel Gueldry
Du 1er juillet au 31 décembre 2000, la France présida le Conseil de l'Union européenne (UE), et ce pour la onzième fois depuis la création de la troïka et de la présidence tournante en 1978. Elle assuma ce rôle précédemment au second semestre 1989 et au premier semestre 1995. En 1999, l'Allemagne et la Finlande assumèrent cette responsabilité, puis le Portugal précéda la France au premier semestre 2000. Cette fonction est un moment fort de la politique nationale—du fait de la cohabitation—et de la politique continentale, car les pays d'Europe centrale et orientale (PECO) frappent à la porte de l'UE, qui doit se préparer pour les intégrer. C'est pourquoi cet article étudie d'abord la dynamique de la cohabitation envers l'Europe, puis le rôle, le contexte et le programme de cette présidence française. Ensuite, il résume les décisions prises aux sommets de Biarritz et de Nice et enfin il analyse leur signification pour la France, les relations franco-allemandes et le futur de l'Union.
Uniforms: The Social Imaginary in Balzac's La Cousine Bette
Sarah Maza
The first character introduced to the reader at the start of Balzac's La Cousine Bette (1846) is Célestin Crevel, described in the opening sentence as "a fat man of average height wearing the uniform of a captain of the National Guard." Exuding the smugness of commercial success and flaunting the ribbon of the Légion d'honneur, Crevel is on his way to visit a woman he has long secretly desired, Baroness Adeline Hulot d'Evry. Beautiful, middle-aged, and married, the Baroness is in financial trouble and seeks the help of the very rich Crevel to whom she is related by the marriage of her son Victorin to the widower Crevel's only daughter, Célestine.
Conjugaliser l'adultère: la liaison de deux amants parisiens, Adèle Schunck et Aimé Guyet de Frenex (1824-1849)
Paula Cossart
«Les lettres entre amants sont rares, ce sont sans doute celles que l'on aime le moins conserver… Le chercheur sera déçu de ne trouver que quelques documents difficilement exploitables », écrit Marie-Claire Grassi : la lettre d'amour est « sans doute (…) celle qui a été brûlée la première, rendue sans son ruban, non conservée par peur de quelque compromission ». Si l'on en croit ce constat de rareté, c'est une découverte exceptionnelle qui a permis à la présente recherche, sur l'expression épistolaire du sentiment amoureux, de débuter3. En effet, la correspondance sur laquelle s'appuie cette étude est constituée de 1500 lettres échangées par deux amants entre 1824 et 1849. Il s'agit donc d'une série homogène et longue, permettant des questionnements qui n'auraient sans doute pu être posés à partir de correspondances plus fractionnées.
C'est aux Archives de Paris, dans un fonds constitué de pièces déposées au greffe du Tribunal Civil de la Seine, après le décès des personnes concernées, que j'ai retrouvé cette longue correspondance, de manière fortuite, à l'occasion du classement de ce fonds4. Cet échange épistolaire, qui unit pendant plus de vingt ans deux amants, Aimé Pierre Marie Guyet de Fernex et Adèle Schunck, représente la majeure partie des papiers classés sous le nom d'Adèle. Je ne parlerai ici que des lettres écrites entre juin 1824 et juin 1826, c'està- dire pendant les deux premières années de leur relation. Des lettres écrites sur du papier souvent très peu épais, laissant voir ce qui est écrit au verso : l'écriture fine d'Adèle Schunck, des lignes verticales se superposant parfois aux lignes horizontales ; et les réponses de son amant, plus rares. Un papier jauni, bien sûr, sur lequel on distingue encore les plis originels, bien que les lettres attendent depuis plus d'un siècle, dépliées, rangées dans deux boîtes de carton et de bois, bien que le temps les ait ainsi raidies. Et leur signature, identique, immuable : deux A, alignés ou entrelacés, comme leurs deux prénoms, Adèle et Aimé. On distingue deux types de correspondance entre les deux amants : des lettres intimes qui ne devaient être vues que d'eux, et des lettres à caractère officiel, beaucoup plus rares, des lettres « à montrer », comme l'écrit elle-même Adèle Schunck. Une même enveloppe contenait donc parfois deux lettres, dont l'une était destinée à traîner sur une table, ouverte, afin d'être lue des autres, et de justi- fier ainsi le courrier reçu.
Pour une histoire visuelle du vingtième siècle: le Musée du cinéma Henri Langlois et les historiens
Antoine de Baecque
Les historiens ont souvent une relation délicate au présent, trop présent. Mon trouble est encore plus grand, car je voudrais parler du futur, transporter mon discours vers une histoire-fiction, une réalité virtuelle, ou plutôt un musée imaginaire. Mais, après tout, il s'agit là, depuis le dix-septième siècle, d'une des réflexions privilégiées par les intellectuels et les amateurs d'art en Europe. Le Musée du cinéma Henri Langlois n'existe pas encore. C'est un lieu futur, mais qui conserve trace d'un passé, le patrimoine cinématographique, ce cinéma qu'on a nommé l'« art du siècle », un art dont Henri Langlois a également dit qu'il avait trois cents ans, un art qui, de plus, par ses inventions conceptuelles et visuelles peut, je le crois, servir de « boîte à outils » à tous les historiens. C'est en ce sens que j'orienterais ma présentation du Musée du cinéma : ce qui, dans son travail de conception, pourrait être utile aux historiens, non seulement ceux du cinéma, ou du vingtième siècle, mais à tous les visiteurs potentiels de ce Musée qui font métier d'étudier et d'écrire l'histoire.
Esquisse ethnographique d'un projet: le Musée du Quai Branly
La création d'une institution culturelle suscite toujours des expectatives ; celles-ci sont d'autant plus importantes dans le cas d'un musée consacré aux productions culturelles non-européennes, le Musée du Quai Branly. Dès l'annonce, en octobre 1996, de la fondation de ce musée, celui-ci n'a cessé d'être l'objet de polémiques pour les anthropologues, les historiens de l'art, les chercheurs en histoire naturelle, les conservateurs de musées, les muséologues et d'autres professionnels. Mon propos n'est pas de rendre compte des controverses qui ont entouré cette initiative et qui continuent de se poursuivre, mais plutôt de retracer la genèse du projet muséologique. Une telle démarche n'est pas sans soulever des problèmes de méthode. Ainsi, l'un des obstacles a-til trait au fait que l'objet d'études est un projet en cours de route, et l'on ne peut tenir compte que des intentions des organisateurs sans pouvoir les confronter à la réalité des pratiques. En d'autres termes, la recherche ne peut porter que sur les discours des acteurs et les documents écrits.
Oublieuse mémoire
Octave Debary
Fable de Romain Gary:
Le petit musée consacré aux oeuvres d'Ambroise Fleury, à Cléry, n'est plus aujourd'hui qu'une attraction touristique mineure. La plupart des visiteurs s'y rendent après un déjeuner au Clos Joli, que tous les guides de France sont unanimes à célébrer comme un des hauts lieux du pays. Les guides signalent cependant l'existence du musée, avec la mention « vaut un détour ». On trouve dans ses cinq salles la plupart des oeuvres de mon oncle qui ont survécu à la guerre, à l'occupation, aux combats de la Libération et à toutes les vicissitudes et lassitudes que notre peuple a connues. (...)
Malgré le peu d'intérêt qu'il suscite, et la modestie de la subvention qu'il reçoit de la municipalité, le musée ne risque pas de fermer ses portes, il est trop lié à notre histoire, mais la plupart du temps ses salles sont vides, car nous vivons une époque où les Français cherchent plutôt à oublier qu'à se souvenir.
Les Cerfs-volants (Paris : Gallimard, 1980), p. 9
Reprenant la question qu'Adorno adresse à la poésie, François Mairesse, dans son analyse de l'histoire des musées, pose la question suivante : « Peut-on encore concevoir un musée après Auschwitz ? ». Dans la logique de mon propos, la véritable question qui est ici posée est la suivante : peut-on encore concevoir d'oublier-après Auschwitz ? Concevoir d'oublier après Auschwitz reviendrait à accepter l'idée de pouvoir oublier Auschwitz. Le musée est un instrument d'oubli. D'où l'effroyable question de savoir si l'on peut encore faire des musées après le drame d'Auschwitz. On a continué de faire des musées, on a même fait un musée d'Auschwitz dont Primo Levi a parlé.