CIAO DATE: 05/2014
Volume: 81, Issue: 0-82
Spring/Summer 2011
De l'usage de la violence en politique (PDF)
Laurent Bonelli
Aperçu du début du texte À en juger par l’activité éditoriale, scientifique et même cinématographique déployée depuis le début du xxie siècle, l’usage de la violence en politique est un thème à la mode. L’activité des groupes armés suscite en effet nombre de témoignages – de ceux qui en ont été membres ou de ceux qui les ont combattus – et de questionnements de la communauté académique, qui cherche tour à tour à comprendre ou à prévenir l’action violente. Le volume des connaissances, comme l’hétérogénéité de leur statut et des contextes dans lesquels elles sont produites, rend difficile une appréhension globale du phénomène. Ainsi, le débat initié en Argentine au début des années 2000 porte sur l’évaluation de l’action des différents mouvements politico-militaires, comme les Montoneros ou le PRT-ERP (Partido Revolucionario de los Trabajadores - Ejército Revolucionario del Pueblo), qui s’engagèrent sur la voie de la lutte armée, entre 1958 et 1983 . En Europe, c’est plutôt l’expérience de groupes allemands (...
Conflits de générations et célébrations nationales : analyse et perspectives (PDF)
Bernard Lacroix
Aperçu du début du texte Pourquoi introduire un ensemble de contributions relatives à la violence en politique par quelques pages de Norbert Elias empruntées à ses réflexions sur l’Allemagne ? Le texte est inédit en français, et cela pourrait être une raison suffisante. Il y a de quoi s’inquiéter aujourd’hui de la légèreté de trop d’éditeurs français, satisfaits d’une diffusion limitée d’un des sociologues majeurs du siècle passé, quand Allemands et Anglais parviennent à faire connaître, dans son intégralité, le cheminement et l’étendue d’un travail exemplaire. Mais ce travail est surtout la mise à plat d’un formidable paradoxe intellectuel : le spectacle de l’exacerbation d’une forme paroxystique de violence dans l’une des sociétés apparemment les plus apaisées d’après-guerre. Les « années de plomb », si elles ne s’y résument pas, évoquent immédiatement le nom de la Fraction Armée Rouge, plus connue sous le patronyme de son chef, comme « la bande à Baader », responsable entre 1968 et 1993 d’un peu plus d’u...
Conflits de générations et célébrations nationales : analyse et perspectives (PDF)
Norbert Elias
Elias N., Studien über die Deutschen. Machtkämpfe und Habitusentwicklung im 19. und 20. Jahrhundert, herausgegeben von Michael Schröter, Suhrkamp Verlag 1989/ 1992, pp. 318-348. Extraits inédits en français et traduits de l’allemand par Sylvie Courtine-Denamy, Docteur en Philosophie. Traduction revue par Bernard Lacroix, Professeur de science politique à l’Université Paris Ouest Nanterre et membre du Comité de Rédaction.
Syndicalistes et poseurs de bombes (PDF)
Antoine Roger
Entre le début des années 1960 et le début des années 1980, des Comités d’action viticole défraient la chronique dans le Languedoc en revendiquant régulièrement des attentats à l’explosif contre des bâtiments publics et des entreprises de négoce. Le réseau clandestin formé de la sorte perd ensuite toute visibilité, avant que de nouvelles violences soient mises à son actif à partir de la fin des années 1990. Les variations enregistrées peuvent être mises en rapport avec la structure des relations nouées, d’une période à l’autre, entre les syndicats viticoles et les pouvoirs publics. Pour décrypter les logiques qui président aux destructions, deux registres d’analyse sont croisés: l’éclairage est porté sur les modalités selon lesquelles les organisations professionnelles mettent en forme le groupe qu’elles proposent de défendre et dont elles se proclament représentatives; une attention est dans le même temps prêtée à la labellisation que peuvent leur offrir, sur une base concurrentielle, les administrations nationale et européenne. Le propos est appuyé sur les résultats d’une enquête réalisée dans le département de l’Aude.
Benjamin Gourisse
Entre 1975 et 1980, les organisations du Mouvement nationaliste élaborent des dispositifs idéologiques et pratiques visant à l’organisation d’activités de violence physique et à l’encadrement des membres des «équipes de frappe» qui les mettent en œuvre. Ce faisant, elles permettent à certains de leurs membres d’entrer dans ce qu’on peut identifier comme des carrières d’activistes. Considérant que ces activités de violence organisée sont le fruit d’une mobilisation de ressources, l’article étudie comment la variation des niveaux et des types de ressources collectives influe sur les dispositifs d’encadrement des activités de violence et, par voie de conséquence, sur les carrières des activistes du Mouvement nationaliste.
Boia chi molla ! (PDF)
Stephanie Dechezelles
Après des années de marginalité politique relative, sous l’impulsion de son président Gianfranco Fini, Alleanza Nazionale – née du Movimento Sociale Italiano – entame dans les années 1990 une phase d’institutionnalisation politique qui a notamment pour corollaire la délégitimation de l’action militante violente. Socialisés dans un contexte antérieur de conflits exacerbés avec leurs adversaires, les membres des organisations de jeunesse du parti sont fortement contraints d’abandonner modes et modèles de mobilisation et de politisation érigeant la violence en norme légitime, et de convertir leurs ressources militantes agonistiques dans des pratiques euphémisées. Objet de luttes entre groupements et générations juvéniles, la forclusion de la violence produit des effets en interne, dont la culture militante se fait à la fois l’écho et le vecteur, ainsi que sur les trajectoires individuelles des jeunes engagés qui sont appelés à gérer différemment les dissonances provoquées par la permanence de référentiels cognitifs exaltant les modes d’action violents et un contexte marqué par leur désusage.
S'engager « corps et âme » (PDF)
Karine Lamarche
Cet article s’intéresse aux Israéliens engagés dans des manifestations contre la barrière de séparation. Il propose une réflexion sur cette forme de militantisme qui, tout en se réclamant de la non-violence, comporte un degré de risques particulièrement élevé. Chaque semaine, les manifestations conjointes qui rassemblent, dans des villages de Cisjordanie, des Palestiniens, des Israéliens et des volontaires internationaux, sont en effet le théâtre d’une répression importante de la part des forces de l’ordre israéliennes. Si les militants israéliens prennent moins de risques que les villageois palestiniens, ils s’exposent néanmoins à la possibilité d’être arrêtés et blessés, parfois grièvement, par les soldats de leur propre armée. De plus, en choisissant de s’engager de la sorte, ils acceptent de payer un coût important, notamment en termes de temps, d’argent et de réprobation sociale. Après avoir circonscrit le cadre théorique permettant d’analyser au mieux ce type de militantisme, cet article cherche à comprendre ce qui amène des Israéliens à prendre part de manière régulière à ces manifestations. Les carrières de trois militants, appartenant à la même génération mais s’étant engagés dans les manifestations contre la barrière à plusieurs années d’écart, sont présentées de manière à rendre compte de la pluralité des motifs, dispositions idéologiques et parcours à l’origine de ce type d’engagement.
Après la lutte (PDF)
Marc Milet
La mise à jour du parcours postérieur au moment de lutte des deux hérauts de mobilisations protestataires des commerçants et artisans, Pierre Poujade et Gérard Nicoud, permet d’évaluer le rapport au passé « activiste » qui fonde en définitive un référent à la fois subi, car perpétuellement rappelé, mais dont la teneur même (à dominante « protestataire » pour Poujade, « violente » pour Nicoud) conduit à une instrumentalisation différenciée du capital militant acquis par la lutte. Au-delà d’indéniables convergences de parcours, dont la tentative d’investissement réitéré de l’arène électorale, cette différenciation va peser durablement dans les disponibilités d’une réorientation personnelle et professionnelle. Tandis que Pierre Poujade prolonge le rapport ambivalent avec l’État dans l’élaboration d’un véritable système militant néo-patrimonialiste fondé sur l’appui étatique et politique, Gérard Nicoud réutilise le référent symbolique violent à travers la création d’un rôle inédit du syndicalisme petit patronal : le médiateur fiscal auprès de l’administration.
Tous les jours de la vie (PDF)
Enerico Garca Concho
L’ouvrage 1, dont nous publions ici un extrait, aborde des épisodes de la vie politique chilienne contemporaine et, en particulier, ce que fut le militantisme au sein du Mouvement de Gauche Révolutionnaire (MIR), depuis sa formation – au milieu des années 1960 – jusqu’au milieu des années 1980 2. L’auteur est un ancien militant. Il a rejoint le MIR en 1968 et a été, entre autres, membre de la première escorte présidentielle de Salvador Allende, et responsable de la sécurité de la commission politique (CP) du même parti. Sans être une autobiographie stricto sensu, le livre se structure autour de ses souvenirs et de ses réflexions. L’extrait choisi évoque la journée du coup d’État du 11 septembre 1973. Afin de ne pas surcharger le récit de notes explicatives, précisons que « Miguel » est Miguel Enríquez, que les personnes qui l’entourent sont membres de la commission politique du MIR, à l’exception d’Eduardo Ojeda, dit « León », miriste dont les tâches sont précisées dans le texte.
Des castes en Europe et des Roms au sein de l'humanité (PDF)
Rada Ivekovic
Nos catégories sociologiques ont une histoire. Elles sont souvent normatives et stigmatisantes. Après les évictions brutales d’Italie depuis plusieurs années, depuis les traitements douteux qui leur sont administrés en Slovaquie ou en Roumanie en guise de remède, depuis leur déportation de France à l’été 2010, nous n’entendons plus beaucoup parler des Roms. Certes, il y a eu des protestations et des pétitions. Les Roms ne suscitent aucun intérêt public à plus grande échelle pour les mêmes raisons qui font qu’ils sont ainsi traités. Il y a des réactions scandalisées ou « alibis » sur le moment, mais personne ne pense sérieusement à résoudre ce problème européen, car il est constitutif de nos sociétés. Il faudra qu’ils se mobilisent par eux-mêmes. Or, ils sont dispersés, et leurs associations sont « culturalisées », « misérabilisées » et dépolitisées. Ils sont bien au-delà des « lignes abyssales » comme dirait Boaventura de Sousa Santos .
L'Union européenne et les Roms : pauvreté, haine anti-Tziganes et gouvernance de la mobilité (PDF)
Nando Sigona
Lors d’une récente communication au Parlement et au Conseil européen, la Commission européenne (2011) est revenue sur la question des Roms, suite aux événements relatifs aux expulsions de Roms roumains par la France l’été dernier. Cette intervention était très attendue car la Commission avait jusque là évité de prendre position sur ce sujet, laissant l’initiative aux États membres . Cette réticence était d’autant plus marquée lorsque les Roms résidaient dans les États membres les plus riches. Dans cette communication qui pose les lignes directrices d’une intervention de coordination européenne pour les stratégies nationales d’intégration des Roms, la Commission explique que les 10 à̀ 12 millions de Roms qui vivent en Europe, et dont la moitié réside au sein de l’Union Européenne (UE), sont victimes de « préjugés, d’intolérance, de discriminations et d’exclusion sociale » et que ces facteurs conditionnent de nomb...
Le Canada et les Roms : gouverner l'inconnaissable (PDF)
Mark B. Salter
Aperçu du début du texte Aux yeux du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, de même que pour plusieurs États européens, le groupe connu sous le nom de « Roms » pose un problème de nature politique : ce groupe remet en question les conceptions d’identité nationale, de lieu, d’appartenance, de territoire, de citoyenneté et de droits. Il est difficile de définir de façon empirique la « communauté » rom, que ce soit relativement à la taille de sa population (entre huit et douze millions), à sa localisation (partout en Europe), à ses caractéristiques ethniques, ou encore à l’existence d’une culture ou d’une langue commune (par exemple, si plusieurs dialectes Roms sont mutuellement compréhensibles, d’autres ne le sont pas). Cependant, d’un pays à l’autre, les différentes communautés identifiées en tant que Roms souffrent manifestement de discriminations ethniques et raciales ; de difficultés aux chapitres de l’intégration, de la mobilité et de l’assimilation ; en plus d’être souvent victimes d’attaques vio...
L'asile externalisé ou l'Europe comme obstacle à la non discrimination des Roms ? (PDF)
Judit Toth
Aperçu du début du texte Le projet visant à établir un État de droit après la rupture de 1989 n’a pas eu pour conséquence un progrès politique, économique ou social pour les Roms dans les pays d’Europe centrale et orientale – mis à part, peut être, la liberté d’exprimer leurs griefs. Le fort taux de chômage au sein de la communauté rom (dissimulé durant la période communiste), une discrimination désormais plus ouverte (que la politique officielle égalitariste était parvenue à minimiser), la ségrégation dans des ghettos et des écoles spéciales, la violence ethnique et la brutalité de la police sont dès lors apparus comme des « nouveautés ». Ce sont pourtant des faits bien connus et traités par nombre d’agences et d’organismes, dont l’Union européenne, le Parlement européen, le Conseil de l’Europe, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), le Haut-commissariat pour les minorités nationales, l’Agence des droits fondam...
Anais Faure Atger, Alejandro Eggenschwiler
Aperçu du début du texte En 1999, le Traité d’Amsterdam a établi les fondations de l’Espace européen de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ). Celui-ci prévoit l’harmonisation des lois dans les domaines de l’immigration, de l’asile, du contrôle des frontières et des visas, à l’appui du principe de la libre circulation des personnes. Le programme de Stockholm, adopté en décembre 2009, définit les orientations stratégiques des politiques européennes correspondantes pour les cinq prochaines années. Il entend placer les citoyens au cœur des politiques dans ce domaine. Ces engagements européens en faveur de la protection des droits de l’individu ont d’ailleurs été réaffirmés par l’intégration de la Charte des droits fondamentaux dans le droit de l’Union suite à l’adoption du Traité de Lisbonne. Toutefois, ces velléités d’intégration européenne autour de principes communs, tels que l’interdiction de toute forme de discrimination et de respect des droits fondamentaux, se heurtent à la résistance des États memb...
Le traitement des Roms dans l'Union Européenne (PDF)
Elspeth Guild
Aperçu du début du texte L’expulsion de Roms bulgares et roumains d’Italie en 2009 et de France en 2010 a provoqué de nombreuses discussions, contestations et préoccupations. En ce qui concerne la France, les expulsions de Roms de juillet et août 2010 (des expulsions seraient encore en cours selon de nombreuses sources) ont eu de multiples conséquences : elles ont généré de la discorde au sein des institutions de l’Union Européenne ; elles ont amené le commissaire européen chargé des droits des citoyens à s’opposer au président français ; elles ont enfin provoqué de l’indignation au-delà de l’Union Européenne (UE). Curieusement, la question de l’effectivité et de l’efficacité de la politique d’expulsion n’a pas fait l’objet d’une attention particulière dans le débat politique. Pour combler cette lacune, il importe de dire un mot des objectifs de cette politique. Dans l’UE, l’expulsion d’individus est généralement entreprise afin de mettre un terme à la présence illégale d’individus sur le territoire d’un Ét...
Quand Montesquieu se transnationalise (PDF)
Didier Bigo
Aperçu du début du texte On aurait pu penser que les pratiques du gouvernement français à l’égard des Roms vivant en France allaient donner lieu à une série d’articles et de publications spécialisées qui discuteraient les fondements de ces logiques de suspicion, de détention, de circulation forcée, d’exclusion, et que seraient approfondies les raisons pour lesquelles les Roms sont pris à partie, bien plus que d’autres groupes sociaux. En effet, alors que la plupart des Roms que les Français croisent dans leurs rues sont citoyens français et sédentarisés, ils sont pris dans une rhétorique les décrivant tous comme des étrangers d’origine roumaine ou bulgare, nomades, souvent voleurs, et menaçant l’ordre et la sécurité publique. Mais qui s’en émeut ? Quasiment personne. S’agit-il du simple temps de l’actualité journalistique, prisonnier d’un blitzkrieg de mesures populistes proposant toujours plus de suspicion et de répression contre les étrangers, y compris européens, et qui finit par abandonner la question d...