CIAO DATE: 05/2014
Volume: 79, Issue: 0-80
Autumn/Winter 2010
Langue et politique (PDF)
Jean-Baptiste Harguindeguy, Romain Pasquier
Les études sur le multiculturalisme et les politiques linguistiques – encore peu diffusées en France – ont connu un grand essor dans l’ensemble de l’Europe depuis les années 1980. C’est dans le but de combler cette lacune que nous avons pris l’initiative d’organiser une session thématique consacrée aux mobilisations ethnolinguistiques en Europe lors du 10e Congrès de l’Association Française de Science Politique à Grenoble en septembre 2009. Ce numéro de la revue Cultures & Conflitsvise à prolonger cet effort en se centrant sur les mobilisations de défense et de promotion des langues régionales en Europe.
Appartenances linguistiques, identités collectives et pratiques culturelles en Pays Basque (PDF)
Xabier Itcaina
Ce texte revient sur une enquête menée en 2004-2005 en Pays Basque français, dans la Communauté autonome basque et en Navarre autour du thème Identité et culture basque au début du xxie siècle. L’enquête, les conditions de sa production et de sa réception peuvent faire l’objet de deux niveaux de lecture. La première est celle des résultats proprement dits, qui viennent confirmer la fragmentation territoriale des territoires basco-navarrais. Le second niveau de lecture est d’ordre méthodologique : comment mesurer les identités ethnolinguistiques ? Quelle pertinence des approches quantitatives, même rééquilibrées par des groupes de discussion ? Comment repérer les dimensions proprement politiques des représentations ? Ces données ne prennent sens qu’au regard des contrastes entre les mobilisations collectives et du degré d’institutionnalisation des politiques linguistiques et culturelles sur chacun des trois territoires. La situation d’un Pays Basque français en mutation viendra illustrer ce débat.
Linda Cardinal
L’article compare les mobilisations ethnolinguistiques au Canada et en Grande-Bretagne depuis les années 1990. Il étudie l’interaction entre l’héritage institutionnel pluraliste et pragmatique, commun aux deux régions, et le sens que les minorités francophone vivant à l’extérieur du Québec et gallophone donnent à leur action en vue d’influencer l’institutionnalisation des politiques linguistiques dans ce nouveau contexte. L’article montre que l’action gouvernementale au pays de Galles est plus soutenue mais que la capacité des groupes gallophones à influencer la formulation des politiques est plus limitée. Au Canada, cette influence est plus forte de la part des groupes francophones mais elle donne lieu à une action gouvernementale plus symbolique qu’efficace.
L'université et les pouvoirs de la langue (PDF)
Antonella Capelle-Pogăcean
En examinant les controverses autour d’une éventuelle (ré)ouverture de l’université publique de langue hongroise à Cluj-Napoca/Kolozsvár (Roumanie), cet article se donne pour but d’interroger les conditions politiques, institutionnelles et sociales de l’émergence de cette cause durant une période singulière, celle de la sortie du communisme. Après avoir cerné les répertoires historiques investis en décembre 1989 par des entrepreneurs de l’identité qui construisent la langue en indice du nouveau statut du groupe hongrois dans l’ordre politique postcommuniste, l’article explore les modalités de cristallisation de catégories d’intelligibilité des enjeux de langue et d’université. Au regard d’autres recherches croisant ces problématiques au xxe siècle, la configuration envisagée ici se singularise par son insertion dans des dynamiques de changement de régime, ainsi que par une trajectoire historique particulière façonnée par la concurrence entre deux États pour le contrôle d’un territoire. Dans un contexte d’incertitude, le temps court donne à voir le redéploiement d’idéologies linguistiques cristallisées au fil des constructions stato-nationales rivales (hongroise et roumaine), nourries par des renversements des positions de domination et par le travail d’égalisation relative des conditions sociales opéré en Roumanie par le régime communiste.
Faire taire l'altérité (PDF)
Nadege Ragaru
En prenant pour objet la bulgarisation forcée de l’onomastique et la censure de la langue turque entre 1984 et 1989, l’objectif de cet article est d’interroger les logiques sociales de la construction de la langue en enjeu politique et sécuritaire en Bulgarie communiste. Il est ensuite de reconstituer la trajectoire non linéaire au terme de laquelle l’usage du turc a été investi de significations politiques. Cette démarche nous amènera à éclairer un processus d’assimilation violente né du croisement entre une vision unitaire de l’État-nation datant du xixe siècle et un projet communiste de modernisation-homogénéisation opéré à travers une ingénierie sociale prométhéenne. L’extension à l’univers linguistique des politiques de nationalisation a également été rendue possible par le lent déplacement des logiques organisatrices des identifications depuis un découpage confessionnel hérité de l’Empire ottoman vers un principe stato-national ayant fait de l’ethnicité et de la langue, en sus de la confession, des marqueurs identitaires privilégiés. Loin de constituer les simples reflets de ces politiques, les politisations minoritaires de la langue - inscrites dans une histoire ayant diversement tissé hiérarchies sociales et linguistiques - ont perdu en intensité depuis 1989, rappelant qu’il n’existe pas d’automaticité à la construction linguistique des enjeux politiques, économiques ou identitaires.
La représentation politique des minorités linguistiques (PDF)
Carlo Pala, Giulia Sandri
Le Südtiroler Volkspartei en Haut Adige, l’Union Valdôtaine en Vallée d’Aoste et le Partito Sardo d’Azione en Sardaigne sont les principaux exemples de partis ethnorégionalistes historiques en Italie. Ces acteurs ont joué un rôle politique principalement au niveau régional, bien qu’ils aient tous obtenu à maintes reprises une représentation au sein du parlement national. Dans le cadre de cette représentation politique à multiples niveaux, cette étude vise à analyser les spécificités des systèmes de représentations disponibles pour chacune de ces trois principales communautés linguistiques minoritaires en Italie: celle parlant la langue sarde en Sardaigne, celle germanophone dans la région italienne du Trentin-Haut Adige et la communauté francophone au Vallée d’Aoste. Le rôle de la langue en tant que vecteur identitaire qui permet de renforcer la cohésion des groupes minoritaires qui se mobilisent est examiné ici. L’étude vise aussi à analyser dans quelle mesure la langue est un objectif politique qui guide l’action des trois groupes en question et des partis qui les représentent.
Polémiques toponymiques (PDF)
Martina Avanza
Dans cet article il sera question de l’usage politique des dialectes mis en œuvre par la Ligue du Nord, parti qui s’emploie depuis 1995 à faire reconnaître l’Italie septentrionale, rebaptisée Padanie, comme une entité culturellement distincte du reste du pays méritant pour cela d’être reconnue politiquement. La Ligue monopolisant politiquement la question dialectale, toute utilisation publique du dialecte est automatiquement associée, en Italie septentrionale, au léguisme. Le dialecte s’est alors transformé, dans son utilisation publique, en une marque de fermeture, voire de xénophobie, et d’attitude anti-unitaire. Cette politisation, à droite, du dialecte sera illustrée à travers le cas des panneaux signalétiques bilingues (italien/dialecte) que de nombreux maires léguistes ont voulu installer pour rajouter au nom des villes qu’ils gouvernent le nom local (Bergamo est devenue Berghem) et par les polémiques que cette politique toponymique a suscitées.
« Bons » et « mauvais » musulmans (PDF)
Abdellali Hajjat
Depuis les années 1980, l’administration chargée de l’acquisition de la nationalité française est confrontée à une nouvelle réalité: la multiplication de candidatures de militants qualifiés d’«islamistes». Cet article cherche à comprendre comment les différentes composantes de l’État français (sous-direction des naturalisations, services de police, juge administratif) traitent les demandes de ces candidats «islamistes» sous le prisme de la catégorie juridique de «défaut d’assimilation». L’analyse de plusieurs dossiers de naturalisation significatifs permet de mettre en lumière les catégories d’entendement visant à distinguer les «bons» des «mauvais» musulmans, catégories élaborées sur la base d’une certaine confusion entre «islam» et «islamisme», d’une opposition entre musulmans «radicaux» et «modérés», et sur la base de conflits d’interprétation entre les candidats, l’administration et le juge administratif.
La volonté de réprimer (PDF)
Christophe Wasinski
Cet article explore la composante transnationale de la généalogie contre-insurrectionnelle. Dans un premier temps, il analyse le rôle structurant du modèle stratégique classique européen et son application dans la guerre coloniale. Ensuite, il met en évidence les mécanismes de diffusion transnationaux des pratiques contre-révolutionnaires et contre-insurrectionnelles à partir de la guerre froide. Pour terminer, il s’intéresse aux réarticulations de cette généalogie transnationale entre la fin de la guerre froide et les conflits contemporains en Irak et en Afghanistan.