CIAO DATE: 04/2014
Volume: 72, Issue: 0
Winter 2008
Introduction. Frontières et logiques de passage : l'ordinaire des transgressions (PDF)
Michel Peraldi, Karine Bennafla
1Issus d’un colloque organisé à Tanger 1, les articles de ce numéro ouvrent des perspectives géographiques variées pour décrire la modernité de mondes sociaux construits autour de lieux frontaliers, en tirant parti au niveau économique, culturel et politique de la rupture de souveraineté instituée par la frontière. Ce n’est certes pas nouveau de considérer que les frontières font monde et que s’organisent, en ces bords d’Etat, des lieux très paradoxaux, puisqu’ils semblent nier la possibilité même de la frontière, formant pont et continuité là où, souvent, le politique voudrait rupture et limite, socialement stériles, de l’exercice d’une souveraineté. De nombreux travaux 2 ont déjà mis en évidence les divers usages de la frontière et évoqué la vie sociale, économique, culturelle qui continue bien au-delà des limites territoriales et politiques de la souveraineté, avec son lot d’hybridations et d’enchevêtrement créatifs. Dans la forme impériale de l’Etat, du reste, ce type de frontière floue et poreuse a été codifié et souvent parfaitement organisé comme, par exemple, le limes romain. Les articles présentés ici rappellent fort opportunément que les frontières sont des lieux avant d’être des lignes, et que l’existence même de ruptures en matière de souveraineté est facteur, sinon de solidarités affranchies ou remobilisées par cette rupture, du moins d’opportunités économiques et sociales.
Sabine Guez
A partir de deux histoires / carrières individuelles, cet article propose de montrer deux complexes d’usages de la conurbation Ciudad Juárez - El Paso, frontière pivot sur la route transaméricaine de la cocaïne, de la marijuana et de l’héroïne. Au cœur de l’enquête ethnographique : les relations entre des acteurs impliqués de près et de loin dans l’économie de la drogue, à deux moments dans l’histoire du narcotrafic (les années 1980 et aujourd’hui). Des mouvements de noria sur toute la géographie nationale du Mexique et des Etats-Unis apparaissent, nous incitant à penser la frontière dans ses interactions avec les territoires, les personnes, les projets qu’elle met en réseau.
Daniel Meier
Cet article cherche à comprendre ce que se marier veut dire lorsqu’on étudie les relations entre Libanais et Palestiniens dans un contexte où les seconds subissent une marginalisation institutionnelle de la part des premiers. La première partie présente quelques données du phénomène des unions matrimoniales libano-palestiniennes, et cerne de façon générale les variables (telles que la géographie, le niveau social ou l’histoire partagée) qui ressortent de l’enquête menée par l’auteur sur le terrain libanais ces dernières années. Elles permettent de situer l’importance de la contextualisation des mariages pour appréhender la dimension transgressive qui peut leur être associé. La seconde partie propose une série de profils et de témoignages d’acteurs des mariages libano-palestiniens, ces derniers présentant les registres argumentatifs mobilisés dans leur environnement pour qualifier ou disqualifier leur union matrimoniale et les stratégies qu’ils ont choisi d’adopter en fonction des difficultés rencontrées. Trois types de situations sont évoqués. Il en ressort que la transgression est affaire de perception bien plus que de règles ou normes communautaires claires et précises.
Stratégies de vie sur une frontière. Le cas du Maramures : enjeux et valorisations identitaires (PDF)
Raluca Nagy
La position géographique, l’importance stratégique et la réalité historique, ont fait du Maramureş, situé au Nord de la Roumanie, une région assez particulière. Pendant le XXe siècle, on assiste à un discours invariable sur son authenticité, utilisé politiquement par les régimes comme appui pour la construction de l’Etat national. Mais, derrière ce discours, la réalité s’avère plus nuancée, reposant sur la dichotomie entre la préservation des traditions et l’ouverture, culturelle et économique, qu’implique toute zone frontalière. Cette réalité se fait d’autant plus visible lorsque s’opèrent des transformations et des modernisations des anciennes pratiques informelles et stratégies de vie.
Halirou Abdouraman
Depuis le début des années 1980, le lac Tchad est l’objet de plusieurs conflits entre les pays partageant ses ressources, à savoir le Cameroun, le Nigéria, le Niger et le Tchad. Les aléas climatiques (sécheresse constante) qui accentuent le retrait progressif des eaux du lac en constituent le fondement. La réduction de la surface du lac se traduit par le déplacement des poissons et l’apparition des îles riches en foncier pastoral et agricole. Dès lors, le contrôle de ces richesses dans un environnement de plus en plus difficile, du fait de l’action humaine et naturelle, constitue l’enjeu principal du conflit frontalier Cameroun-Nigéria dans la région de Darak. Or, l’ancienneté des relations transfrontalières développées par les populations de la région, va vaincre cette opposition géopolitique que se livrent les deux Etats voisins.
Migrations africaines et nouveaux enjeux de la frontière israélo-égyptienne (PDF)
Lisa Anteby-Yemeni
Cet article examine comment la frontière israélo-égyptienne, frontière éminemment sécuritaire pour Israël, est également devenue en l'espace de quelques années un point de passage clandestin vers Israël pour des migrants et des demandeurs d'asile, essentiellement en provenance d'Afrique. Outre ces nouveaux itinéraires migratoires entre les « Suds », ce sont aussi les passeurs bédouins qui jouent un rôle dans ces passages qui génèrent une économie frontalière, dans la continuité des anciennes routes de contrebande et de commerces informels, toujours contrôlée par les Bédouins de la région. Après un bref regard sur les « violences de la frontière », l'article s'attache à décrire la façon dont les autorités israéliennes développent des systèmes de contrôle et de surveillance, mais surtout des dispositifs de rétention (tel le site de Ktziot) pour contenir ces circulations. C'est pourquoi cette frontière, peu étudiée, constitue aujourd'hui un nouvel enjeu en représentant un défi à l'Etat d'Israël en termes de gestion de flux migratoires non juifs, et en termes d'« externalisation » de l'asile entre pays du Moyen-Orient.
Vivre sur fond de frontières. Les migrants du Mozambique à Johannesburg (PDF)
Dominique Vidal
Cet article se donne pour objet de montrer comment le rapport à l’espace et la construction identitaire des migrants du Mozambique à Johannesburg soulèvent la question de la frontière, que celle-ci soit entendue dans un sens spatial, dans une acception juridique ou comme une limite traçant les contours d’un groupe ethnique. On rappellera pour cela, dans une première partie, l’importance des frontières établies à l’époque coloniale et sous l’apartheid dans la structuration politique du social et les conditions de vie de ces migrants. On s’intéressera ensuite aux conséquences entraînées par la fin de l’apartheid sur la situation des migrants africains dans le pays et l’apparition d’une conceptualisation différente du national et de l’étranger. La dernière partie montrera, enfin, comment les Mozambicains, confrontés à l’hostilité des Noirs sud-africains, se différencient des autres Africains de Johannesburg, en dressant une frontière ethnique qui concourt au maintien de l’identité personnelle mais ne possède pas une teneur suffisante pour l’action collective.
A propos des "disparus" de la guerre civile espagnole (suite) (PDF)
Antonio Garcia Castro
Nous publions ici trois documents étroitement liés au dossier consacré à la question des « disparus » de la guerre civile espagnole, paru dans notre précédent numéro 1. Ces documents, conçus comme des annexes dudit dossier, entendent introduire, pour ainsi dire fugacement, d’autres regards sur ce qu’engagent les actuelles exhumations des fosses communes de la période franquiste.
Au sujet de Santa Cruz, por ejemplo, un film de Günter Schwaiger (PDF)
Gunter Schwaiger
Ce film se structure autour d’une fouille dans le village de Santa Cruz, où, comme dans d’autres villages espagnols (d’où le nom du film « Santa Cruz, par exemple »), on a découvert une fosse commune datant de la période franquiste. Outre l’expérience même de l’exhumation, Günter Schwaiger a filmé les réactions des villageois et les témoignages de plusieurs personnes dont les proches ont été enterrés là, puis déterrés 1. Ce film a par ailleurs été l’une des pièces essentielles de la vidéo-installation « Fosse commune » réalisée en partenariat avec Tomás Ruiz-Rivas 2.
Au sujet de Los Nietos, un film de Marie-Paule Jeunehomme (PDF)
Marie-Paul Jeunehomme
La réalisatrice belge Marie-Paule Jeunehomme a récemment consacré un documentaire à la question des exhumations en Espagne. Le film appelé Los Nietos 1 (les petits-enfants) se passe à San Pedro Mallo, un petit village du Bierzo où il existe une fosse clandestine, renfermant un corps, celui de Leonides Rodríguez. C'est lui que l'on cherche et, ce faisant, la réalisatrice recueille la parole de ceux qui, à un titre ou à un autre, se sentent concernés par ce travail. Nous reproduisons ci-après un bref entretien ainsi que quelques extraits de dialogues issus du film
Échange avec Montserrat Sans sur la dimension judiciaire de la question des disparus en Espagne (PDF)
Montserrat Sans
C&C : En 2002, vous avez présenté un texte devant le groupe de travail de l’ONU sur les disparitions forcées de personnes. Quel était l’enjeu d’une éventuelle intervention de l’ONU dans ce cas précis, en relation au cas des disparitions perpétrées en Espagne ?
Chronique bibliographique. Lectures et usages de Foucault (PDF)
Remi Guittet
A en croire ses propres mots, Foucault rêverait de disparaître et de ne plus faire office que de point absent d’un discours qui puisse se passer de lui et le laisser hors-champ 1. Si tout discours, et éminemment un discours de professeur au Collège de France, est en effet un discours de pouvoir, on comprend que la position critique soit contrainte de tendre vers l’anonymat, nom transitoire de la disparition. Disparaître, se laisser traverser par le discours, et non l’investir d’un pouvoir, en faire le lieu de la critique sans en faire le lieu d’un nouvel ordre, voilà le but idéal, au sens fort (il est régulateur et non atteignable en tant que tel), vers lequel tend dans la pratique la critique foucaldienne. En quoi consiste-t-elle ? Refuser les discours qui utilisent des essences universelles comme principes régulateurs. Refuser l’insistance du pouvoir qu’ils représentent. Les contourner pour en extirper la position archéologique, l’implicite normativité qu’ils véhiculent et construisent tout à la fois. Contre eux, privilégier le « spécifique », ce qui dans un endroit donné se réalise et touche les acteurs qui y prennent part, et qui n’est pas à penser en référence à un système d’interprétation préétabli, autrement dit une norme, ou des universaux, mais au contraire comme l’inédit qui ne s’y laisse pas réduire.
Chronique bibliographique. Violences universelles et guerres multiformes (PDF)
Louis-Jean Duclos
A propos de : Gros F., Etats de violence. Essai sur la fin de la guerre, Paris, Gallimard, 2006, 318 p. Labica G., Théorie de la violence, Naples / Paris, La Città del Sole / Librairie philosophique Vrin, 2007, 272 p. 1 . Muchembled R., Une histoire de la violence : de la fin du Moyen Age à nos jours, Paris, Le Seuil, (...) 1A en croire l’historien Robert Muchembled 1, la violence est en voie constante de régression. Ce n’est en tout cas pas l’avis du philosophe Georges Labica, ni de son collègue Frédéric Gros qui, sous des intitulés respectivement ambitieux et ambigu, ont labouré le même champ mais pas vraiment traité le même le sujet.