CIAO DATE: 04/2014
Volume: 70, Issue: 0
Summer 2008
Editorial. Altermondialisme(s) oublié(s) (PDF)
Gulcin Erli Lelandais
La littérature sur la question de l’internationalisation des conflits mais aussi sur la transnationalisation des mouvements sociaux s’est considérablement développée depuis les années 1990 1. Toutefois, la plupart des recherches effectuées en la matière sont centrées sur l’altermondialisme dans des pays développés – notamment les Etats-Unis, les pays d’Europe du Nord, et en partie ceux d’Amérique latine – et néglige l’émergence et le développement de ce phénomène dans d’autres régions du monde, le Sud de la Méditerranée entre autres. Nous constatons également que les études sur l’altermondialisme ne se sont pas vraiment penchées sur les significations de ce phénomène dans cette aire géographique. Nous disposons de peu d’éléments sur l’implication des pays de cette région dans l’altermondialisme, ou sur son intensité et son apport 2. De nombreux ouvrages publiés en France tentent certaines généralisations sur ces mouvements à partir du seul exemple des altermondialismes en Europe. Ce type d’approches entraîne le risque d’amener trop rapidement à des conclusions non nécessairement vérifiées par des analyses de l’autre côté de la Méditerranée. Par ailleurs, ce problème peut être accentué par l’absence de visibilité des organisations sur les zones géographiques précédemment citées. L’intérêt médiatique, mais aussi universitaire, est ainsi souvent dirigé vers les mouvements occidentaux, et lorsqu’une activité contestataire relativement importante apparaît dans un pays extra-européen de la Méditerranée, elle ne paraît pas susciter le même degré d’intérêt que ses homologues étrangers 3.
L'altermondialisme et la recherche sur les mouvements sociaux. Quelques réflexions (PDF)
Donatella Della Porta
Cet article a deux objectifs principaux : présenter sur les bases de recherches empiriques certaines des caractéristiques dudit mouvement altermondialiste et développer une réflexion sur la dimension « Sud » de ce mouvement. Si de nombreuses campagnes transnationales se sont développées dans les années 1990, la recherche en sciences sociales sur les mouvements sociaux n’a pas su anticiper l’explosion récente des protestations. Elles se sont en effet souvent concentrées sur des formes de manifestations plus conventionnelles et présentes aux échelles nationales. Après s’être interrogée sur la façon dont les dimensions multiples de l’altermondialisme pouvaient engendrer des défis mais aussi des opportunités de mobilisation transnationale, l’auteur met en avant certaines questions ouvertes sur la présence d’un mouvement social international en discutant les clivages existant au sein de ce mouvement ainsi que les différents niveaux qui le composent. L'auteur aborde le mouvement dans les suds et soulève des questions de recherches comme les différentes bases sociales, les multiples opportunités politiques, et la structure complexe des clivages politiques.
Raphael Canet
A la globalisation du capital financier a répondu la mondialisation de la résistance des peuples. Qu'elle soit définie en termes de contre-pouvoir, de mondialisation contre-hégémonique, de mouvement anti-systémique ou encore de berceau d'une hypothétique Cinquième Internationale, la mouvance altermondialiste a su s'imposer dans le champ de la représentation en brisant le dogme de l'unicité de la pensée, du modèle de développement, de la rationalité instrumentale. Derrière le slogan « Un autre monde est possible », se dessine désormais une nouvelle utopie.
Du printemps ouvrier à l'altermondialisme… Le champ militant et le champ politique en Turquie (PDF)
Gerci Erdi Lelandais
L’émergence du mouvement altermondialiste, en tant que nouvelle cause de lutte, donne les prémices de la transformation du champ des luttes liées aux évolutions politiques et économiques, tant en Turquie qu’au niveau international, notamment par l’accentuation de la globalisation. Cet article propose une réflexion, dans ce climat de reconfiguration du champ politique en Turquie, sur les conditions de mobilisation de l’altermondialisme, en examinant d’un côté les conditions politiques, de l’autre côté les configurations du champ militant turc susceptibles d’affecter la mobilisation à la fois comme opportunité et obstacle. Pour le faire, nous considérons le coup d’Etat militaire de septembre 1980 comme un tournant dans la configuration-reconfiguration du champ politique turc ainsi que dans la transformation de l’interaction entre le champ militant et le champ politique. L’article souligne justement la difficile autonomisation des luttes sociales par rapport aux courants politiques. Dans ce cadre, l’altermondialisme apparaît comme une nouvelle lutte, voire un nouveau courant politique permettant à la fois une relative autonomisation des mouvements sociaux vis-à-vis des partis ainsi qu’une rémanence politique pour les anciens mouvements politiques de gauche anéantis par l’intervention de l’armée turque en 1980.
Eric Cheynis
Cet article tente de dresser le portrait des Marocains ayant participé aux Forums sociaux mondiaux de Porto Alegre. En les replaçant au sein de leurs organisations respectives et plus largement au sein de l’espace de l’altermondialisme dans ce pays, il interroge le rapport particulier et distinctif à l’extraversion de ces agents qui se projettent hors du Maroc. A partir de la reconstitution de leurs trajectoires, il met en évidence des processus de reconversion et analyse ce qui fonde leur appétence pour l’international ainsi que les conditions et la sélectivité de la participation aux Forum sociaux mondiaux. Il souligne l’hétérogénéité des parcours d’accès à l’international en les rapportant à des socialisations internationales différenciées.
Timothy Peace
Alors que deux autres articles dans ce numéro spécial examinent les mobilisations altermondialistes dans des pays à majorité musulmane, cette contribution se concentre sur la participation des musulmans européens dans ce mouvement en France et en Grande Bretagne. Nous nous concentrerons tout particulièrement sur les Forums Sociaux Européens (FSE) qui se sont déroulés dans ces pays respectifs en 2003 et 2004 et présenterons un point de vue d’ensemble de la mobilisation des musulmans et de leur interaction avec les mouvements déjà existants dans le but d’évaluer l’impact de cette participation. Nous argumenterons que ce qui est le plus significatif est l’effet qu’elle a eu sur le « mouvement social » lui-même et le défi qu’elle a représenté quant à sa prétention d’ouverture et de «tolérance». La conséquence la plus évidente fut la série de débats, de désaccords et de scissions qu’elle a provoquée au sein de groupes et d’organisations de la mouvance altermondialiste dans les deux pays. Elle a été aussi source de division pour les associations musulmanes et même en Grande Bretagne, les coalitions entre les deux types de militants n’ont pas été maintenues. Les réactions divergentes à propos de cette nouvelle forme de mobilisation peuvent être expliquées par les « structures d’opportunités discursives » présentes dans les deux pays. En France, les notions de « laïcité » et du « communautarisme » empêchent la convergence entre groupes musulmans et les autres militants même alors que ces derniers sont d’accord sur l’importance de la première et le danger de la seconde.
Marie-Emmanuelle Pommerolle, Johanna Simeant
Le Forum social de Nairobi, en janvier 2007, a permis d’interroger, à travers une vaste enquête collective, les effets de la localisation, géographique et symbolique, d’un forum social mondial en Afrique. En plus d’enrichir une littérature sur les mouvements sociaux transnationaux trop souvent centrés sur le Nord, cette enquête permet de mieux saisir les conditions tant matérielles que symboliques de la participation de délégués africains à un événement protestataire transnational. Les inégalités et les hiérarchies au sein de l’espace altermondialiste déterminent en effet les possibilités de participation de militants africains internationalisés. L’espace altermondialiste africain est lui aussi parcouru par des clivages régionaux, linguistiques et sociaux qui se traduisent le plus souvent en positions idéologiques divergentes. Enfin, dans cet espace transnational hiérarchisé, les concurrences pour s’exprimer au nom de l’Afrique alimentent des mécanismes de légitimations culturelles et identitaires perceptibles à travers une analyse fine des prises de parole sur l’Afrique.
Les participants et les organisateurs du Forum social mondial : la diversité du militantisme (PDF)
Odaci Luiz Coradini
Cet article présente les résultats d’une étude sur les participants et les organisateurs du Forum Social Mondial 2005. Un des principaux axes d’analyse porte sur les relations entre différentes modalités d’engagement et de militantisme, complémentaires ou distinctes, et leurs bases sociales et idéologiques. Il s’agit notamment des associations et des oppositions entre le militantisme étudiant, partisan, syndical, associatif, moral, le militantisme relevant de différents types de philanthropie, parmi d’autres. Un second axe analytique consiste en la comparaison des conditions sociales et idéologiques de ce militantisme avec d’autres contextes, en particulier avec les résultats déjà disponibles des études sur le Forum Social Européen. Selon l’hypothèse générale suivie, dans un contexte comme celui du Forum Social Mondial de Porto Alegre, non seulement ces liens entre militantisme et d’autres sphères d’activités sont spécifiques, mais ils contribuent aussi au changement de significations de catégories ou de référentiels fondamentaux. C’est le cas, par exemple, des relations et des significations de certaines religions et églises, de la philanthropie, voire du tiers-mondisme ou de l’altermondialisme, entre autres.
Les enfermés hors-champ. Entretien (PDF)
Miriam Perier, Mathieu Pernot
Mathieu Pernot est photographe et enseigne son art à Paris. Il nous prête son œil pour regarder ce qui ne nous est pas donné de voir habituellement, soit parce que notre société l’ignore volontairement (« Les Roms », 1999), soit parce qu’on voudrait que nous les oubliions (les intérieurs pénitenciers et les corps invisibles des détenus, 2001-2002), soit parce que l’absurdité de la situation nous dépasse (« les Hurleurs », 2001-2004)…
Chronique bibliographique. Europe, frontières et politique : chronique autour d'Etienne Balibar (PDF)
Julian Jeandesboz
La récente publication d’une « petite conférence sur la frontière 1 », initialement prononcée le 18 novembre 2006 au Centre dramatique national de Montreuil, constitue un excellent prétexte pour revenir sur les réflexions menées par Etienne Balibar depuis plus de dix ans sur l’Europe, ses frontières et ses citoyens 2. La parution de cette « petite conférence », donnée devant un public majoritairement constitué de jeunes auditeurs, illustre à elle seule certaines des préoccupations de l’auteur quant au rôle général du travail (des) intellectuel(s) et quant au traitement d’une question qui, loin de n’être qu’un thème à laisser aux experts et aux militants, concerne également les sociétés et les citoyens européens dans leur ensemble. Son titre, Très loin et tout près, résume de manière simple l’une des préoccupations de la réflexion proposée par Balibar sur l’Europe, à savoir la nécessité de problématiser la constitution (à tous les sens du terme) d’un espace de gouvernement européen et les limites qui lui sont données sur le plan interne comme sur le plan externe par les acteurs dominants des processus d’européanisation communautaires, sous un angle politique qui serait celui d’un « droit de cité » conjoint aux ressortissants communautaires et extra-communautaires.